L'histoire :
Jeune journaliste affichant 23 hivers à peine soufflés, ce petit binoclard à chevelure bouclée ne sait pas dans quelle histoire il entre là, ce matin d’août brûlant. Il croise en effet, sur un trottoir de Paris, un drôle de zigoto aux yeux imbibés de sang. Le bonhomme, SDF sans doute, est habillé d’un smoking lustré par l’usure, dont le pantalon est joliment rentré dans une paire de bottes en caoutchouc. Il fait déjà une chaleur d’enfer. Nos deux oiseaux se regardent un moment et le mec en costume de fête propose de se raconter au journaleux. Pourquoi lui ? Pourquoi pas ? Et du reste le scribouillard a si peu de biscuits à se mettre sous le clavier qu’il est prêt à l’écouter. Un regard a suffit pour qu’il ait immédiatement confiance en ce type qui pue à plein tarin. Comme justement il est question d’odeur, le clodo s’apprête à raconter sa merde à gros tombereaux. Mais pour commencer, il faut faire les choses sérieusement : aller se jeter quelques goulées de liquide alcoolisé dans le gosier. Ensuite, il lui dira peut-être pourquoi, pour l’état civil, il est mort depuis bientôt dix ans. Peut-être aussi, ce qu’il attend en échange de cette confession…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
C’est une nouvelle extraite de Baby Boom (Prix Goncourt de la Nouvelle 1986) qui offre à l’auteur himself et Eugénie Lavenant l’occasion de nous présenter un drôle d’oiseau : ce fameux Pogo aux yeux rouges, sorte de clodo à smoking et bottes en caoutchouc et au verbe aussi empreint de violence, de philosophie ou de métaphore que d’acidité. Centré sur l’histoire de ce personnage, le récit nous embarque dans une intrigue où il sera question d’amour, d’accident, de résurrection et de plante verte offerte en une sympathique vengeance. Au-delà, ce tempo aux accents rocambolesques sert une partition charbon : de la série noire impeccablement ciselée par le talent de Jean Vautrin. Ici les acteurs franchissent les frontières du borderline sans frémir et invitent à une perpétuelle réflexion sur notre quotidien ouaté. Impeccable pour l’ambiance et mettant à l’honneur la qualité littéraire du récit, l’adaptation capte son auditoire assez facilement. Le mot est joliment pesé, inventif en diable et gourmand – pour ne pas dire boulimique – des ellipses ou des formules bien senties. On aime alors cette histoire barrée, sans concession et ce bonhomme au relief accrocheur. La partie graphique se laisse quant à elle assez facilement happer par le rythme cinématographique imposé par l’œuvre originale de Vautrin. Les masses d’encre noire assènent leur contraste avec appétit. Le trait figé, tel un enchaînement de négatifs photo, scelle des cadrages plein d’émotions. Reste à savoir si l’adaptation en bande dessinée était réellement nécessaire, au regard de la force intrinsèque de l’écrit. Elle donne en tout cas très envie d’aller faire un tour du coté de ce Baby Boom et pourquoi pas dans l’œuvre complète d’un des acteurs majeurs du néo-polar français.