L'histoire :
Au milieu de la nuit, Kaze, un japonais, écrit une courte lettre à sa femme. Puis il enfile son manteau et sort sur le trottoir avec ses deux valises, pour attendre son chauffeur de la société TCS. Ce dernier arrive et emmène le presque sexagénaire vers Tokyo. A cinq ans de la retraite, Kaze s’est fait licencié de sa société de courtage. Il a décidé de suivre le conseil de son employeur : reconstruire sa vie ailleurs et autrement. Il va disparaître, devenir un « évaporé ». Quand son épouse découvre la lettre, sibylline : « Je ne mettrai plus les chaussons », elle téléphone aussitôt leur fille unique, Yukiko, qui poursuit plus ou moins des études d’art en France. Yukiko n’est plus revenue au Japon depuis 5 ans, mais ses études patinent pas mal. En réalité, Yukiko est serveuse dans un resto japonais parisien et elle est proche elle aussi de se faire remercier, en raison de ses retards récurrents. Au téléphone, la mère de Yukiko demande avec insistance à sa fille de rentrer au pays pour partir à la recherche de son père. Bon gré mal gré, Yukiko accepte, sans prendre de billet retour. Pendant ce temps, Kaze s’installe dans une petite piaule d’un quartier sordide de la capitale…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En page 101 de cette chronique familiale se déroulant dans le Japon post-Fukushima, l’auteur Isao Moutte fait préciser à un de ses protagonistes le cœur du propos : « 80 000 personnes s’évaporent chaque année au Japon ». Car c’est ce qui arrive à Kaze, un « salaryman » presque sexagénaire de la région de Kyoto : remercié sans préavis à 5 ans de la retraite, il préfère disparaître et reconstruire sa vie ailleurs et autrement, plutôt que de devoir affronter le déshonneur du chômage et sa femme. Il est un de ces Évaporés, qui va chercher à survivre de petits boulots journaliers dans un quartier pauvre de Tokyo. Il va aussi tenter d’enquêter sur les activités suspectes de ses anciens employeurs… mais Isao Moutte abandonne finalement cette piste. Les activités mafieuses seront plutôt abordées à travers la destinée tourmentée d’un orphelin de Fukushima, dont l’entraide sera aussi une forme de rédemption pour Kaze. Isao Moutte est authentiquement franco-japonais et ça se sent : il met en scène sa parfaite connaissance de la société nippone, il dessine des animations de quartiers formidablement vivantes, à travers une narration BD franco-belge parfaitement maîtrisée et un encrage semi-réaliste uniquement noir et blanc. Sa chronique sociale prend son temps, se disperse peut-être par moment, mais elle parvient sans sensationnalisme à tenir son lecteur en haleine et à l’attacher à la destinée de ses personnages. Surtout, il l’immerge dans un Japon très crédible, qui doute et qui culpabilise, un an après la catastrophe de Fukushima.