L'histoire :
« Tiraillé par le remords, au crépuscule de cette chienne de vie, je me décide à prendre ma plume pour vous conter mon existence. Vous comprendrez aisément que je me garde de vous livrer mon identité : les faits que je vais vous décrire ci-après risqueraient d’enrouler une corde autour de mon cou… C’est en Bretagne que tout a commencé, aux alentours de l’an 1718. J’avais 14 ans, sans père ni mère, je vivais, parmi les gueux depuis quelques années, me nourrissant de tout ce qui pouvait remuer autour de moi : insectes, lézards, mulots, corbeaux… Ces dernier temps j’améliorais pourtant mon quotidien grâce à une aimable petite paysanne qui chapardait pour moi quelques restes des repas de ses maitres. En dehors de ces mets princiers, j’étais curieux de connaitre le fruit défendu qu’elle me cachait sous ses jupons et ce soir là je ne résistais pas à lui forcer la main au point de l’étrangler pour obtenir mon dû. Déçu mais ayant, néanmoins, rassasié ma curiosité, j’avouais mon crime à mes compagnons d’infortune, qui trouvèrent plus prudent de me livrer à la maréchaussée. Je les quittais dans l’instant, pour rejoindre Brest où je me fis oublier pendant plus d’un an au service d’un aubergiste, bercé par les récits des marins qui fréquentaient l’établissement. Un soir l’un d’entre eux à qui je comptais ma triste mésaventure me proposa de rejoindre l’équipage du navire sur lequel il servait : je me voyais déjà courir les mers pour le Roi, me couvrir d’or et acheter une auberge bien à moi. Cette nuit là, je n’embarquais pourtant pas sur un navire de Sa Majesté, mais je débutais une carrière de flibustier à bord de l’Étoile Matutine, sous les ordres du sanguinaire Georges Merry… »
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Affublé d’un patronyme qui claque comme ceux des plus célèbres boucaniers, Riff Reb’s met somptueusement en cases un récit de Pierre Mac Orlan initialement publié en 1920 (puis régulièrement augmenté de chapitres supplémentaires jusqu’en 1934). Il offre ainsi à la toute nouvelle collection Noctambule (passerelle entre roman et BD) des éditions Soleil, l’une des meilleures histoires de piraterie que l’on se soit mis sous le crochet. A la manière d’un journal de bord, le narrateur décrit ici l’ordinaire d’un pirate au 18e siècle, multipliant les anecdotes de cette vie mouvementée. Chapitrés, ces récits quasi autonomes glissent merveilleusement bien et présentent une flibuste noire, débarrassée de tout héroïsme ou de romantisme sirupeux : un modèle d’anti-épopée. Ici les pirates sont des assassins ordinaires, cruels, ne respectant aucune autorité, et non de beaux chevaliers dont les cheveux flottent au vent. Vous vivrez là le coté off de ce qui est habituellement proposé et c’est ce qui est particulièrement savoureux. Le trait dynamique, les cadrages ou le choix judicieux d’une bichromie, qui alterne les tons en fonction de l’intensité dramatique, indiquent que Riff Reb’s a parfaitement compris, pour mieux se les approprier, les intentions du romancier. On se laisse alors si facilement happer par les images rythmées, par la voix off de ce coquin de brigand, qu’il ne faut pas longtemps pour entendre l’étoffe noire surmontée du fameux crâne, claquer au vent marin.