L'histoire :
Asaf habite à Tel Aviv, ville moderne et opulente d’un pays en proie à la guerre quasi-permanente, dont la légitimité est en permanence contestée. Inquiet ou torturé, Asaf le devient lorsqu’il apprend qu’il doit trouver un autre logement pour sa petite famille. En prime, ils n’ont que des petits salaires et la ville ne cesse de s’embourgeoiser. Ils rêvent parfois de grands voyages, d’un avenir radieux, de Paris ou New-York... mais la réalité est bien plus cruelle. Tandis qu’Asaf vient de rire devant un dessin animé avec son fils, sa femme l’informe que l’agent immobilier a accepté leur offre pour un apartement. Pendant ce temps, défilent à la télé des images de guerre ou d’explosifs, succédant à un violent discours de Mahmoud Ahmadinejad… Alors que tout le monde s’impatiente pour le feu d’artifice lors de la fête de l’indépendance, des femmes militaires dansent et un obus, invité inattendu, pointe le bout de son museau… Yom Kippour, fête juive qui célèbre le jour du « Grand Pardon », est l’occasion pour chacun de réorienter son existence après une intense et longue introspection. Mais pour Asaf, la réalité, c’est surtout l’incommunicabilité propre à son couple et les disputes qui s'ensuivent. Pour échapper au réel, reste le dessin, les rêves d’enfant et la vie de famille… Même une lueur d'espoir apparaîtra à Asaf lorsqu'il recevra une proposition de travail du prestigieux New-Yorker...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Sombre par son ton mais pétillante par ses couleurs et son inventivité graphique, subtil mélange de désenchantement obsessionnel et de folie visuelle, K.O. à Tel Aviv risque bien de vous rendre groggy. S’appuyant sur une narration fractionnée d’histoires en une planche, chacune affublée d’un titre, Asaf Hanuka décrit son tortueux quotidien de citadin de Tel-Aviv en enfilant plusieurs costumes : celui de père très souvent, de mari absent, d’auteur torturé, d’enfant émerveillé mais aussi de simple citoyen israélien. L’occasion pour lui de s’interroger sur sa judéité, sur l’héritage de la Shoah (Hanuka se sent coupable de ne pas se sentir coupable : qu’est-ce qu’ « un bon juif » ?), sur la difficulté de vivre au quotidien dans une ville moderne aux loyers prohibitifs et son rôle de pater familias. Mais en creux, K.O. à Tel-Aviv questionne aussi les névroses, la violence, l'identité et le destin politique de la société israélienne dont l’histoire est intimement liée à l'angoisse d'une guerre quasi-permanente. A chaque page, le spectre de l’affrontement et du terrorisme jaillit d’un char, d’une figurine ensanglantée, d’un capot de voiture, d’une télé ou d’un meuble de rangement pour hanter l'inconscient torturé de l’artiste, à la fois terreau fécond d'un imaginaire inquiet et fardeau ingrat d’un auteur en panne d’inspiration. Si un pessimisme névrosé à la Daniel Clowes ou Schopenhauer traverse en permanence les planches (voir le clin d’œil à Wilson dans le ton et le dispositif narratif) , celui-ci s’efface parfois au profit d’un humour trash ou provocateur (voir la pleine-page : juif+arabe= séfarade), le lecteur s’inclinant alors devant l’amertume triomphante de Hanuka, dans de magnifiques planches au surréalisme cynique et frappé, puisant son inspiration aussi bien dans les couvertures du New-Yorker que dans les aventures des super-héros d’antan. La dernière page portant le coup de poing fatal mais salvateur, entre réalisme cru et fantasme pur. Dans cette chronique intimiste décalée et surprenante, donc, ne jamais oublier le contexte d’Israël, où le poids de l’Histoire, éminemment lourd et violent, n’est bien sûr jamais innocent. Triste ou angoissé, sans espoir ou pathétique mais offensif sur le plan créatif, Hanuka se présente en digne héritier d’un Art Spiegelman, mais surtout en brillant artiste au regard singulier. Expression d’un malaise schizophrène, libération d’un imaginaire disloqué, chronique d'un pays bancal, K.O à Tel Aviv sonne comme une jolie bise amère venue de Terre promise. Mazel tov !