L'histoire :
Daisy Letourneur, une femme trans, est au poste de police. On l’interroge avec une lampe dirigée droit dans les yeux. Pourquoi vouloir encore parler des hommes dans sa BD ? Eh bien parce que justement, on parle souvent d’hommes, mais trop peu souvent des hommes en tant que groupe social. Contrairement aux femmes, aux personnes LGBTQIA+ et autres minorités stigmatisées, les hommes ont droit à leur individualité. Dans Le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir explique comment on fait des femmes, l’autre, tandis que les hommes sont le sujet. Mais que se passe-t-il quand on change de point de vue ? Qu’on considère les hommes comme un sous-groupe bien particulier, avec ses intérêts et ses mécanismes de régulation interne ? Car oui, cette BD n’est pas là pour apprendre aux hommes d’être des hommes. Certains risquent même d’être mal à l’aise. Est-ce que c’est parce qu’elle est trans ? Hystérique ? Féminazie ? Lesbienne… ? Peut-être bien, oui. Mais les hommes cis, blancs et hétéros font comme s’ils détenaient l’objectivité universelle, mais pas les femmes. Or, elles ont aussi leur point de vue et elles l’assument. Tout a commencé pour Daisy en 2017. Devenir père a changé la façon dont on la regardait. Elle était devenue un « homme » aux yeux du monde et elle détestait ça. Avec le temps et ses lectures, elle a enfin découvert pourquoi elle se sentait si mal. Et d’homme, elle est devenue femme…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En adaptant en BD l’essai de Shyle Zalewski de 2022 On Ne Naît Pas Mec, Daisy Letourneur s’attaque à un monument mouvant : la masculinité. Pas celle des manuels poussiéreux, mais celle que l’on fabrique, que l’on répète, que l’on subit au sein de la société : celle qui façonne notre monde moderne. Pour ce faire, l’album prend le parti de rendre tout lisible, drôle et accessible sans sacrifier l’ambition. Et, étonnamment, ça fonctionne. Ainsi, pas de leçon de morale. Letourneur opte pour une approche qui va droit au but, c’est-à-dire éclairer les mécanismes sociaux qui construisent « l’homme » en tant que rôle, posture et performance permanente. C’est parfois brutal, souvent piquant mais toujours limpide. L’autrice injecte d’ailleurs une part d’intime qui donne du relief à son discours, sans jamais le transformer en confession. On sent sa volonté d’élargir le cadre, de montrer que les réflexions sur la masculinité ne sont pas un caprice militant mais plutôt une clé de compréhension du monde réel. Le dessin de Shyle Zalewski, nerveux, fluctuant et volontairement débraillé, accompagne cette démarche en lui donnant une énergie quasi punk. À ce titre, certaines pages sont foutraques, changent de ton, là où on l’attend grave et inversement… C’est hétérogène, mais ça colle avec la thématique. Bien sûr, on peut regretter que certains axes soient survolés, mais ce serait reprocher à cette BD de ne pas être une encyclopédie. L’important est ailleurs : ouvrir des portes, fissurer des certitudes, offrir des outils pour penser autrement.