L'histoire :
Betty est une jeune fille pleine de désirs et d’envies. Mais elle doit se méfier de ceux qui, aveugles à la beauté du monde, ne cessent de la détourner du seul chemin qui vaille : l’émerveillement. Ainsi ce faux-Dieu castrateur, ce voisin qui lui dit « où garer son malheur », les poètes, la nation… Betty peine à devenir dans ce monde sans ambition, échoue à grandir dans ce monde où elle doit se méfier de tous ceux qui lui veulent du bien. Enlever le masque et lâcher prise, seul exutoire à la mort…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Forcément, c’est là une expérience radicale que propose L.L de Mars avec l’histoire impétueuse de Betty. L’auteur fait ici éclater les structures de la BD pour inventer un langage libéré de toute contrainte et créer un univers : pas de cases mais des coups de pinceaux bruts, fiévreux ou volcaniques, pas de scénar mais une narration entravée, réflexive, complètement libérée où bulles et textes sont épars, soutenu par un découpage en trois actes, sorte de tragédie classique dont l’issue est déjà écrite. Inutile de chercher à tout comprendre, là n’est sans doute pas l’intérêt. L’important, c’est cet objet polymorphe que le lecteur va pouvoir s’approprier pour le confronter à sa propre expérience. Au premier abord, l’impression d’un chaos visuel, l’image d’un bouillonnement graphique suggérant ou illustrant ce que Betty est impuissante à exprimer, ce que le texte est impuissant à nommer. Puis le dessin, enfantin, cartoonesque ou réaliste, puis les peintures, figuratives, abstraites ou expressives, viennent prendre le relais pour opérer un renversement : le mot, gêné, vient illustrer l’image. Un enchantement visuel opère et un doux vertige esthétique s’empare alors du lecteur : voir la couverture qui est à l’image du livre, véritable tornade sanguine d’une rare puissance, traduisant l’état intérieur de Betty (peut-être) ou la vitalité créative. Magnifique. Bulles et textes inachevés, trait spontané ou lâché, libéré ou maîtrisé, formes déformées à la faveur d’une intuition, tout pousse à s’attarder sur les images et à laisser l’œil divaguer à l’infini, avec délice. Vous l’aurez compris, L.L de Mars, en véritable créateur, propose une expérience de lecture radicale finalement cohérente, signifiant « son dégoût de toute posture, notamment artistique », au cours de laquelle il faut accepter de faire un effort, largement récompensé in fine. Un vrai choc esthétique, un objet insaisissable et polysémique, un livre ardent et exalté, une effervescence chromatique irréductible à une modeste chronique.