L'histoire :
Charles Brumswick, « Charley », est célibataire, hypocondriaque, et foncièrement cynique. Grand amateur de musique « expé » venue des quatre coins du monde, il affiche un mépris acéré envers l’univers dans lequel se vautrent grassement ses potes Mickey et Bob : The Rockworld. Malgré ses remarques acerbes et ses faux symptômes, il répond toujours présent. Et pendant que les deux soulards se murgent à coups de pintes au concert des Fucking Chimps ou au Roskilde Festival, beuglent leur chant de supporters de foot, ou se bidonnent de leurs blagues graveleuses, Charley tente la séduction. Mais de Gabi à Tanya, ses efforts pour paraître décalé de ce monde vulgaire sont bien vains… Agressé ou rejeté de toutes parts, il ne lui reste toujours qu’un seul point de retour : ses compagnons de misère.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Voilà comment peut se résumer Rockworld de Soren Mosdal (auteur entre autre d’Erik le Rouge, roi de l’hiver paru en mars chez Casterman) et Jacob Orsted, les stars de la bande dessinée danoise. Mais l’essentiel de cet album n’est pas tant à chercher dans l’histoire de ces trois personnages que dans le tableau caustique qu’il peint de l’univers du rock underground. Après les avoir traduits et publiés séparément dans leurs Turkey Comix, l’excellente maison d’édition The Hoochie Coochie réunit ici trois fanzines publiés au Danemark entre 2007 et 2012 : Rockworld, Noizeworld et Boilworld. Les titres l’attestent : c’est la faune étrange de cette jungle musicale qui est au centre du regard. Le trait acéré et anguleux du dessinateur amoncelle, tout autour des protagonistes, une collection de portraits en noir et blanc, évoquant les essais de physiognomonie de Töpffer ou la tradition de la caricature. Souvent comparés aux Freaks de Tob Browning, ces individus défilent dans le récit, comme une sorte d’honneur à la laideur et s’invitent dans une successivité de scènes comiques, aussi manifestes que discrètes. Du fait de sa création en trois séquences étalées dans le temps, l’album est caractérisé par une hétérogénéité graphique intéressante mais évolue vers un dessin de plus en plus lâché, qui perd finalement son piment à notre goût. La galerie elle-même a tendance à disparaître et à ne laisser place qu’aux aventures de Charley et ses acolytes poisseux. C’est regrettable. De belles surprises narratives ponctuent – trop rarement ! – cependant l’œuvre (images à l’envers, une expérience d’itération iconique à la François Ayroles, parodie d’une biographie de musicien, répétition de vues plongeantes) et participent pleinement à la satire du récit. Effets de déformation, d’absurde, de surplomb : à suivre les déboires de ce Charley aux grosses lunettes, c’est de l’association paradoxale de l’outrance et de la vacuité de toute une jeunesse que nous rions. Et, n’est-ce pas pour pousser la dérision vers l’autodérision que les auteurs font écrire Charley, le doigt plein de merde sur le mur des toilettes d’un bar : « fuck Rockworld » ? A bon amateur d’humour allant du premier au dixième degré, salut.