L'histoire :
La première guerre mondiale s’est terminée et un petit groupe de copains rescapés originaires de l’île de la Réunion a eu le bonheur de regagner la colonie française. Cependant, ils quittent une horreur pour une autre, car ils rapportent avec eux une terrible maladie : la grippe espagnole. Dès lors, l’épidémie ravage l’île au sein de tout type de population. Les cadavres s’amoncèlent dans les rues et l’île n’est plus ravitaillée. Embauché par un médecin dynamique de l’hôpital, Evariste organise la collecte des cadavres, en s’appuyant sur une main d’œuvre pratique : des condamnés aux travaux forcés. Voltaire, dans ses habits de faux « tirailleur sénégalais », continue son idylle avec Emma, la fiancée de son copain Camille (carrément). de toute façon, Camille, après être devenu opiomane en raison de sa gueule cassée, s’est suicidé. Le trompe-la-mort et force de la nature Grondin, quant à lui, roucoule avec la belle Marie, qui prépare des potions anti-grippe à base de rhum… de beaucoup de rhum ! C’est alors que la presse et la populace accuse les chinois, dont l’épicier local, d’être à l’origine de la grippe. Il fallait bien désigner quelques responsables à lyncher. Sa boutique sera incendiée…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Mais qu’ont-ils donc fichus, ces satanés auteurs de la Grippe coloniale, pour mettre 9 ans à nous pondre la suite ? Récompensé par le prix de la critique à Angoulême au moment de sa sortie (en 2003), le premier tome s’inscrivait idéalement par son ton, dans la veine « nouvelle BD » des Blain, Sfar et consort. Le pilote avait marqué par son humour omniprésent, la légèreté de personnages attachants, et néanmoins le tragique de son sujet, l’évocation historique et l’axe quasi mémoriel du propos : le fléau de la grippe espagnole importée sur l’île de la Réunion à l’été 1919. Neuf ans ont donc passé, mais Appollo et Serge Huo-Chao-Si reprennent pile-poil là où ils en étaient restés. Appollo ne change rien ni à l’ambiance, ni à la ligne narrative… tandis que le trait de Huo-Chao-Si renouvelle nettement son style caricatural. Le trait est plus détaillé, la colorisation plus contrastée (par Grégoire Loyau) et si les personnages demeurent reconnaissables, ils se retrouvent curieusement affinés (Evariste devient progressivement tout maigre !). Au gré d’un récit sans linéarité précise, les auteurs font donc de nouveau acte d’humanisme. L’engagement patriote et la boucherie de 4 années de guerre n’ont rien changé à la noirceur de l’âme humaine et aux coups-bas du sort. Ici, on châtie des boucs émissaires chinois, forcément malpropres et coupables de l’épidémie. Là, une « bête » grippe se révèle plus meurtrière que n’importe quel conflit, décime la population civile et épargne une nouvelle fois nos poilus poilants. Du moins directement… car l’équilibre psychologique de certains est en lambeaux. Tout cela serait parfaitement sordide si Grondin, imbibé d’alcool, ne piquait pas un petit roupillon sur un tas de cadavres ; ou que Voltaire oubliait sa gouaille matinée de créole. A l’image de cet empereur d’Annam qui joue à la TSF et s’imagine Président, les nouveaux personnages et les situations incongrues permettent de louvoyer d’exquise manière entre le pathos et les clichés. Ironie ultime du destin : c’est un cyclone dévastateur qui règlera son sort à la pandémie. Vive les cyclones.