L'histoire :
Dans l’obscurité totale d’une chambre à coucher, un couple (qu’on imagine alité) décide d’en profiter pour se faire des confidences. Il sera imité par bien d’autres. Tout d’abord, une femme demande à son conjoint s’il l’aimerait toujours si elle avait des petits seins, ou un gros cul, ou si elle était vieille, ou sale, ou handicapée… Evidemment, le conjoint galant trouve la parade affectueuse à chaque extrême. Or ce peu de goût agace prodigieusement madame… Ailleurs, toujours dans le noir, un autre couple discute après avoir fait l’amour. Elle s’indigne quand elle apprend son âge à lui : 30 ans, mais c’est super vieux, alors qu’elle, n’en a que 16 ! Presque le double ! C’est comme si elle avait 40 ans et qu’elle couchait avec un mec de 80… Du coup, elle réclame à son amant quelques confidences sur la quantité de ses expériences. Mais elle est très déçue car elle n’est que sa troisième… Ailleurs, un mari demande à sa femme si elle serait capable de faire un truc à trois, genre avec une autre fille, genre avec leur amie Vanessa. Elle avoue qu’elle trouverait ça plutôt excitant. Ça tombe bien, parce que lui a déjà) pris un peu d’avance avec Vanessa…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Vous avez sans doute remarqué qu’être plongé dans le noir pousse à la confidence. Le calme visuel inciterait-il à faire un tri essentiel dans les pensées intimes ? La soumission de ces dernières aux proches permettrait-il d’apaiser l’âme quant à leur présence ? Sur notre humanité ? Bref, l’intimité sereine d’une chambre à coucher obscure renforce assurément le désir de confession. C’est sur ce sentiment qu’en 1996, année de la première édition de cet ouvrage moultement réédité depuis, surfaient Jim et Gaston, en « fumistes » accomplis et assumés. Osons cette expression (assignée façon boutade) car au cours des 46 planches de ce one-shot de BD inégalé et inégalable, il n’y a pas le moindre dessin. Seuls des phylactères se détachent par-dessus des fonds de cases totalement noirs, en aplats purs. Ces phylactères protéiformes s’emplissent de jolies lettrines et onomatopées, ce qui ici est le cœur de l’exercice en matière d’art séquentiel. Car vu le concept, seules les formes des bulles, des mots et des bruits sont en capacité de donner le ton, la juste expressivité des protagonistes invisibles. Ces bavardages se rythment en saynètes d’une page ou d’une demi-page, au gré des confidences de couples exprimées. Car évidemment, dans le noir, il y a toujours des couples (terme générique). Des couples qui s’avouent leurs adultères, leurs petits arrangements avec les sentiments, leurs pulsions inavouables, la nature de leur dualité… Le ton est tantôt direct, tantôt fun, tantôt fripon… et bien que jamais hilarants, ces dialogues s’apprécient comme autant de témoignages et variations sur la pluralité du couple moderne. Une thématique que Jim ne cessera dès lors d’explorer, souvent de manière plus romantique, dans son œuvre de bande dessinée…