L'histoire :
G.H. Fretwell, écrivain, remplit une valise avec une douzaine d’exemplaires de son dernier roman, Sans K. Il part en tournée de dédicace, comme négocié par son éditeur. Il prévient sa femme Rebecca qu’il part, à travers une porte de leur appartement, et sans réveiller leur fils Oliver. Dans le train, Fretwell compulse la rubrique littéraire, la seule qui l’intéresse, pour repérer les éventuels articles sur son œuvre. Puis sur le quai de la gare d’arrivée, un moustachu à casquette empoigne sa valise et part avec. Fretwell le prend pour un chauffeur que lui aurait envoyé sa librairie de destination. Il le suit donc et échange même quelques mots… mais pas assez pour comprendre qu’il s’agit d’un escroc qui lui fauche bel et bien sa valise. Il dépose plainte à la police, mais il est méprisé. Seul le mot « valise » intrigue l’officier qui prend sa déposition. Enfin, Fretwell arrive à la librairie où il est attendu. La jeune femme lui indique une petite table où sont entreposés ses bouquins. Mais aucun client de ne vient. Zéro dédicace. Est-ce à cause de la pluie ou de la dédicace de la veille, qui a trop bien marché, par un dénommé FP Guise, qui a écrit Sierra umbra ? Avant de partir, Fretwell signe tout de même une pile de bouquins d’avance, pour les éventuels futurs clients. Il repart vers son hôtel après que la libraire lui a indiqué qu’elle avait rendez-vous pour un dîner. Il ne la reverra plus… et pour cause…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L’angoisse « de la page blanche » chez l’écrivain est une thématique qui a souvent été utilisée dans les fictions. Ici, l’anglais Andi Watson nous présente une autre angoisse typique de l’écrivain : celle de n’avoir aucun succès. Personne pour s’intéresser à votre œuvre, ni les lecteurs, ni les critiques littéraires, ni même l’éditeur, les libraires ou même l’épouse de l’auteur, qui brille par son mépris et son absence. Le personnage de Fretwell trimballe cela dit sa solitude sans amertume, de librairies vides en désillusions, toujours prompt à vouloir accorder une dédicace. Mais tels les contrats de De Mesmaeker dans Gaston Lagaffe, on comprend vite qu’il n’en signera jamais un seul. Se greffe alors à cette loose intégrale une enquête policière. Car le trajet de notre écrivain coïncide avec celui d’un mystérieux tueur à la valise… et Fretwell devient donc suspect n°1. Or être capable d’accumuler autant de déconvenues sans se départir de son flegme, cela dépasse tellement l’entendement, que ça en devient suspect. Fretwell serait-il le tueur ? Ou le tueur serait-il cet autre écrivain qui lui dame le pion en passant dans les librairies à chaque fois avant lui (et qu’on ne verra jamais non plus !) ? Andi Watson brouille admirablement les pistes, instille finement le doute et fait sombrer progressivement son écrivaillon dans un surréalisme kafkaïen à rendre fou. On se croirait dans Brazil : il est toujours à contre-courant des discutions, il est systématiquement le seul à ne pas piger la gravité des situations, il s’accroche à des espoirs perdus d’avance, par essence… et il se retrouve acculé dans un rôle de coupable. Le minimalisme du dessin en noir et blanc n’empêche pas de dévorer les 270 pages de ce roman graphique aux accents de thriller psychologique kafkaïen.