L'histoire :
Au début des années 1970, Derf Backderf vit dans une ville paumée de l'Ohio située près de Cleveland, région de déclin industriel. Au collège, il entre en contact avec Dahmer, un garçon très solitaire au comportement un peu étrange, qui effraie le plus souvent ses camarades. Et pour cause, il s'amuse à dissoudre des animaux morts dans des bocaux conservés dans une hutte. Connu de tous mais sans amis proches, il traverse ses années collège-lycée dans le plus grand anonymat. Timide, laconique, même insignifiant et presque invisible, il fait parfois l'objet de moqueries tandis que personne ne lui parle. Beaucoup n'avaient que mépris pour lui. A la maison, ses parents ne s'entendaient guère : sa mère était déprimée, d'une humeur bizarre et changeante alors que son père, chimiste et d'une intelligence intimidante, était plus à l'aise avec ses tubes à essai qu'avec l'éducation de son fils. Plus tard, Dahmer ferait même mourir de rire ses camarades en jouant au fou : il mimait des crises d'épilepsie, tout en singeant le discours inarticulé et les tics spasmodiques d'une personne atteinte d'infirmité motrice cérébrale...Taré ou génie ? L'histoire d'une tortueuse descente aux enfers, comme la réponse de frustrations accumulées...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Derf Backderf a côtoyé dans sa scolarité Dahmer, connu comme le "cannibale de Milwaukee", l'un des pires serial killer que l'Amérique ait enfanté. Plutôt que de s'attarder inutilement sur ses dix-sept meurtres, l'auteur préfère interroger le cheminement qui amène un simple étudiant à vouloir massacrer des hommes, tout en se penchant sur sa personnalité brumeuse, froide puis effrayante. La chronique adolescente soulève des questions et suggère des pistes de lecture : absence de structure familiale, dissolution du lien social, isolement, ennui, sexualité refoulée...et soulève les inévitables conséquences : alcool ingurgité à longueur de journée, plaisir sadique à torturer des animaux, rêves et fantasmes d'amants morts...Au croisement du campus novel et de la BD-reportage, cette BD très documentée (mélange de souvenirs personnels et d'entretiens), racontée sur près de 250 pages, fait froid dans le dos. Ce qui est drôle pour les uns, le talent d'imitation de Dahmer, n'est en fait que l'expression d'une névrose beaucoup plus profonde chez lui. Une folie qui est à la fois sa pathologie et son seul langage, celle d'un anonyme privé d'amour, dépourvu d'équilibre intérieur. Marrante au début pour son fan-club, la grimace de Dahmer sème vite le malaise et devient glaçante à la fin, à la lumière de ce qu'il est réellement. Évitant tout jugement moral et usant d'un ton détaché en voix-off, sans complaisance et sans taire non plus ses impressions impersonnelles, Backderf, sensible et empathique, retrace calmement la genèse de son ancien camarade, en une sorte d'essai graphique sur la folie et l'origine du mal. Au-delà, la BD peut être lue aussi comme la radiographie effrayante et pessimiste de l'American Way of Life. Troublant et fascinant, le livre peut laisser un immense sentiment de malaise.