L'histoire :
Un éclair frappe la ville où vit Asterios Polyp, mettant le feu à son appartement. Tour à tour architecte, professeur, auteur et mari, Astérios Polyp n’en reste pas moins un homme : il subit alors ce que l’on appelle communément la crise de la cinquantaine. Malgré la reconnaissance acquise, Asterios Polyp n’a jamais réalisé d’œuvre concrète en architecture, ce qui a nourri de manière inconsciente sa frustration et son amertume. Ne serait-il qu’un intellectuel raté de plus, sans réel talent ? Sa réputation et son renom ont toujours reposé davantage sur ses projets conceptuels que sur ses réalisations. Asterios est aussi un personnage complexe, tourmenté, rationnel, qui pense le monde en termes d’oppositions : ligne ou forme, intérieur ou extérieur, ville/campagne… Se confrontant aux autres (femme, étudiants, clochards, inconnus…), sa pensée philosophique est souvent remise en question, faisant apparaître ainsi quelques failles discursives. Messager d’un discours scientifique prétendument objectif, Asterios doit bien admettre, peu à peu, que son regard sur le monde souffre parfois d’incomplétude. Daisy, sa femme, le lui rappelle avec insistance…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après son succès outre-atlantique, Asterios Polyp débarque en France chez Casterman, pour le plus grand plaisir des non-anglophones. Avant de se plonger dans les méandres chromatiques du livre, sachez qu’Astérios Polyp n’est sans doute pas la BD du siècle et pourtant, vous risquez de l’aimer plus que tout. Assurément, ce livre contient une âme. Sa grande force réside d’abord dans la recherche d’un langage graphique propre au médium BD. En effet, essayant de coller au plus près à la réalité sensible, David Mazzuccheli adjoint à ses personnages une couleur, un phylactère, une typographie et des formes qui leur sont propres. Charge alors à cette grammaire graphique de traduire au mieux une réalité sensible, par essence indicible ou ineffable. Au-delà du dispositif formel et esthétique, la BD est le support d’une réflexion philosophique dense, prenant pour objet l’incommunicabilité des hommes, thème ô combien universel, ou encore la nature humaine dans toute sa complexité. La BD est aussi l’occasion de questionner le réel, afin d’en révéler l’infrastructure, les fondations ou encore la dualité. Car pour Astérios, le monde se pense en termes d’oppositions : vide et plein, rationalité et sensibilité, homme et femme, déduction et induction… Pourtant, loin de toute sécheresse propre au discours scientifique, le récit offre une profonde émotion grâce au jeu d’ombres et de lumières combinée à la variation de points de vue très cinématographiques. Enfin, Astérios Polyp est sans doute aussi une autobiographie déguisée, sachant que Mazzuccheli signe là son premier grand livre personnel, après 15 ans d’enseignement dans de prestigieuses écoles graphiques et un passage par l’école des super-héros dans les années 80-90 : ou quand Mazzuccheli accomplit les desseins d’Asterios et inversement… Œuvre cohérente et équilibrée, Asterios Polyp nous raconte une histoire ordinaire, portée par une mise en scène brillante. Et c’est déjà beaucoup…