L'histoire :
Toland Pulk se remémore un souvenir un peu particulier concernant la mort. Il est évident que les pompes funèbres font un travail remarquable pour remettre à neuf un corps. Il se souvient du premier cadavre qu’il avait vu : Miss Violet, son ancienne baby-sitter et il faut le reconnaître, elle était plutôt belle dans son cercueil. Rien à voir avec son lapin qu’il avait retrouvé mort écrasé par une voiture. Pour lui, il était important que le visage reste intact. Pourtant, une photo aperçue dans un magazine l’a traumatisé. Il s’agissait d’un garçon noir battu à mort et lynché pour avoir mal parlé à une femme blanche. Son visage était horriblement défiguré et la boîte crânienne enfoncée. Il en a fait de nombreux cauchemars et en a même parlé à ses parents. Est-ce que le crâne des Noirs est plus fragile que celui des Blancs ? Pour son père, les os des Noirs sont plus durs mais leur cerveau est plus petit. Il lui parle ensuite du jardinier Stetson qui leur donne entièrement satisfaction. Il travaille tellement bien et avec une certaine intelligence, sans jamais se tromper ni rechigner à la tâche ! Pour toutes ces raisons, il interdit à son fils d’utiliser le mot « nègre » qui est une terrible insulte. Toland comprend très bien. D’ailleurs, il joue beaucoup avec le fils du jardinier, Ben. Trop, d’ailleurs, selon sa sœur, car ses amies lui font la remarque qu’il n’a pas à jouer avec un Noir. Il va falloir qu’il trouve une solution pour s’éloigner de lui...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Stuck rubber baby (« Le type à la capote collée ») est paru en 1995 et publié sous un titre plus édulcoré : Un monde de différences. Ce comics a reçu plusieurs prix donc le prix de la critique à Angoulême. Il faut dire que Howard Cruse propose un sacré roman graphique dans un volumineux et dense bouquin de plus de 200 pages. Rarement une œuvre n’aura aussi bien dépeint le destin de jeunes Américains dans les années 60. Toland et Ginger sont incroyables de vie tout comme la myriade de personnages qui les entourent. Le réalisme est poussé à l’extrême, alors que tout est pourtant fictif. Même la ville n’existe pas ! Au fil des pages, on assiste à de nombreuses anecdotes du quotidien dans le Sud de l’Amérique : la fête dans des bars gay, l’emménagement en colocation, la découverte amoureuse, l’engagement politique, les années étudiantes, et bien sûr le fond du sujet sur les discriminations contre les Noirs et les homosexuels, l’attitude agressive de la police, les exactions et les meurtres du Ku Klux Klan, la peur et l’ignorance face à l’homosexualité... Le ton reste toujours très juste et tout en retenue, avec une superbe réflexion sur les différences et la difficulté d’être homosexuel, qui plus est si on aime un Noir... Certaines scènes sont d’une force rare et le tout est tellement plaisant et réaliste qu’on s’attache très vite à ce récit. A cela s’ajoute un dessin noir et blanc de qualité avec une minutie étonnante dans les moindres détails et une science remarquable des hachures et des ombres. Cette sympathie que l’on ressent pour ce roman graphique et ses personnages est la plus belle revanche que pouvait espérer Howard Cruse devant un monde d’ignorance et d’intolérance.
