L'histoire :
Ruth et Perry sont frère et sœur, adolescents très proches l'un de l'autre et au courant de leurs moindres secrets. De retour de l'hôpital où ils ont rendu visite à leur grand-mère malade, et après un repas familial ponctué des phrases d'usage, ils regagnent leurs chambres et plongent dans leur univers personnel. Ruth collectionne les insectes morts dans des bocaux, qu'elle range savamment sur une étagère. Perry est pris d'une envie compulsive de dessiner, sous les ordres d'une poupée en forme de sorcier. Les deux ados voient leur quotidien de plus en plus perturbé par l'intrusion de ces obsessions avec lesquelles ils dialoguent à voix haute. Lorsque leur grand-mère vient passer ses probables derniers jours dans leur maison, les deux ados réalisent que la vieille dame qui perd la tête est tout près de la mort. Au même moment, chacun d'eux découvre dans sa vie quotidienne des sentiments nouveaux auprès de garçons et filles de leur âge. Dans ce passage de l'enfance à l'âge adulte, dans cette confrontation brutale avec les réalités du quotidien, Ruth et Perry sont partagés entre une vie comme tout le monde, ou le plongeon sans retenue dans leurs rêves destructeurs d'insectes et de sorciers…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Couronné aux Eisner Awards en 2009, cet album se positionne clairement dans le genre « roman graphique », traitant en bande dessinée une chronique de tous les jours qui aurait aussi trouvé son sens sous la forme d'un roman. Il ne s'agit pas ici d'un artifice pour un auteur qui dessinerait mieux qu'il n'écrit, mais d'un choix narratif qui a du sens. Nate Powell le prouve dans des passages étonnants, des surprises visuelles qui donnent à réfléchir (les insectes qui envahissent le champ visuel de Ruth). Ce jeune auteur, dont c'est le premier album traduit en France, n'en est pourtant pas à son coup d'essai dans la BD « intello ». Il a beaucoup bourlingué dans des activités artistiques de toutes sortes (dont un groupe de punk rock !). Swallow me Whole est un album exigeant et sans concession, qu'on ne peut lire en pensant à autre chose, sous peine de passer complètement à coté. Il emprunte la technique désormais familière des romans graphiques américains, qui n'hésitent pas à détailler l'action en longues séquences et multiples plans, à la manière d'une caméra qui tournerait autour des personnages. La plupart du temps, ce style de narration très typé manga (les contemplatifs comme Tanigushi), est absent dans la BD franco-belge classique, qui préfère les ellipses et le mystère entre deux cases. Mais ce style est tout à fait à sa place dans la collection Ecritures de Casterman, dont il faut saluer la politique exigeante et loin des canons de la BD commerciale. Sur le plan visuel, l'objectif premier n'est pas la virtuosité graphique, et l'auteur fait le choix d'un dessin rapide et parfois inachevé (ses précédents albums montrent qu'il peut aller plus loin). Les pages sombres des délires des deux ados sont néanmoins réussies, ainsi que la très belle séquence finale, muette sur plusieurs dizaines de pages. Avec ce pavé de plus de deux cent pages, on plonge dans un univers unique qui n'apporte pas de réponses, laissant le lecteur libre d'interpréter comme il l'entend le cheminement moderne et sombre de deux adolescents déboussolés.