L'histoire :
1982, Fresno. Le jeune Adrian Tomine intègre le collège. Il va devoir composer avec sa passion maladive des comics et le reste de son entourage, complètement en dehors de ses considérations culturelles. Découvrant la scène alternative et les auteurs Jaime Hernandez, Daniel Clowes, etc. il va se lancer comme beaucoup dans l'autopublication de mini comics, les fameux Optic Nerve, dès 1995. Petit à petit, au fil des conventions de BD et des séances hasardeuses de dédicaces ou de lectures dans des librairies quasi vides, il va se forger un style, une personnalité. Tout cela ne lui apporte néanmoins pas une immense satisfaction et la solitude le dévore, jusqu'à ce qu'il trouve corde à son arc en 2003 avec l'arrivée de Sarah, qui deviendra sa future femme.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Même si son aîné et collègue Daniel Clowes, à qui on l'a souvent comparé- ce dont il se moque gentiment dans ce livre- l'a déjà quelque peu évoqué, le métier de dessinateur de BD n'a pas été traité si souvent par le média concerné. On pourra citer entre autre la série manga Bakuman et l'on évoquera Robert Crumb, qui, dans un registre alternatif et underground plus proche en style, s'est assez souvent mis en scène. Noah Van Sciver, plus récemment, se plaît aussi à évoquer avec humour et auto dérision son métier dans quelques scénettes qu'il compile au fil du temps. En France, on se reportera à l'excellente introspection de Benoit Barale (La bande dessinée ou comment j’ai raté ma vie), paru chez PLG en 2018. Adrian Tomine, découvert en France en 1998 avec Les Yeux à vif, petit comics chez Delcourt dans ce qui correspondait aux débuts de la collection Contrebande, a fait un peu de chemin depuis, même s'il n'est pas devenu un auteur vraiment bankable, comme on a coutume de désigner les grands vendeurs. Tout au plus a t-il signé une poignée de nouvelles graphiques appréciées, qui l'ont imposé comme un représentant notable de la scène alternative américaine, ou autrement dit de la BD « d'auteur », dans sa version la plus introspective. Et même si ses précédents recueils traitent habituellement plutôt d'épisodes fictionnels, celui-ci, réalisé alors que l'auteur est papa de deux jeunes filles, se pose comme son ouvrage le plus autobiographique, comme une transition et peut se définir telle une respiration, un palier nécessaire, à partir duquel la vie de ce dernier va changer. C'est d'ailleurs ce que lui révèle l'infirmière sympathique qui le prend en charge lors de sa crise d'angoisse aiguë, l'obligeant à consulter un soir les urgences. La Longue solitude... dévoile aussi le malaise récurrent (d'auto flagellation) que ce sympathique auteur d'origine japonaise trimballe depuis ses débuts, persuadé que le monde le regarde et le juge. C'est d'ailleurs dans ce dernier titre qu'il parle le plus de ses origines, par le biais de la difficulté qu'ont les gens à prononcer son nom et il révèle que, si la bande dessinée représente toute sa vie, il ne dédaignerait pas pouvoir en sortir. Sa vie familiale opère d'ailleurs comme une bouée de sauvetage bienvenue, qu'il met en scène avec bonheur et beaucoup de tendresse. La scène où il pense (à tort) ne pas revenir de l'hôpital est à cet égard assez poignante. Adrian Tomine évoque donc sa vie comme jamais et trace un trait (définitif ?) sur son passé. Apaisé, son histoire encadrée et rangée dans un carnet intime, (les carreaux bleus réguliers du cahier dans lequel il nous livre ces scénettes), il tourne une page. Concernant son dessin, il est aujourd'hui précis et fluide, et révèle toute la force d'un dessinateur de la scène fanzinesque qui n'a jamais cessé de travailler. Ne publie t-il pas régulièrement d’ailleurs pour le New Yorker ? Sans doute l'un de ses meilleurs ouvrages, pour qui n’est pas rebuté par son style un peu plaintif.