L'histoire :
1942, Will et Mamid sont assis dans le train qui les achemine vraisemblablement vers le sud pour rejoindre un camp d’entrainement. Aussi avant d’entrer de pleins pieds dans la seconde guerre mondiale, Will laisse t-il vagabonder ses pensées… Elles le ramènent autour de 1928, dans le quartier du Bronx à New York : la famille de Will vient de quitter Brooklyn pour s’y installer. Au grand dam, d’ailleurs, de sa mère qui ne comprend pas pourquoi son père a choisi de vivre parmi irlandais, italiens et Dieu sait quoi d’autre. La première sortie de Will et de son petit frère ne lui donne malheureusement pas tort : le jeune garçon doit jouer des poings auprès de garnements irlandais qui lui ont fait comprendre qu’ils ne voulaient pas de juifs dans le quartier. Will s’en sort avec quelques égratignures et le goût amer de ne jamais se sentir nulle part chez lui. Son père lui offre ce soir là une petite leçon : plutôt que de répondre brutalement à une force aveugle, il doit faire marcher son cerveau, user de stratagème pour se sortir du pétrin. De théorique, la leçon devient pratique, car le père d’un des garçons querelleurs vient se plaindre et propose à son tour de donner du poing. Le chef de famille évite l’affrontement en promettant à son nouvel ami Tony de lui offrir de la carpe farcie le prochain vendredi… Reviennent ensuite battre la mémoire du soldat : la belle Hélène dont le père communiste attendait le grand soir ; les difficultés économiques récurrentes de son père plus artiste que financier ; le lourd héritage familiale de sa mère ; son copain Buck et le bateau qu’ils avaient construits…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Depuis 2000, les éditions Delcourt propose une bibliographie idéale de Will Eisner en rééditant, via la collection Contrebande, des titres incontournables et parfois méconnus, d’un des plus incontestables maîtres du 9e art. Après Petits Miracles, New York Trilogie ou Le Rêveur, William Erwin Eisner nous livre avec Au cœur de la tempête, un récit chargé d’histoire familiale. L’ouvrage pose ainsi, à travers l’histoire de cette famille, la question de l’identité juive dans une Amérique des années 30 qui n’a pas honte de son antisémitisme. Il s’agit même peut-être pour Eisner de se poser, en filigrane, la question de sa propre identité constamment et primairement ramenée à l’appartenance religieuse de sa famille. On sent la colère contenue de l’adolescent, contraint d’accepter les préjugés insidieux mais restant, quant à lui, maître de ses choix : contrairement à son père, il vivra de son art et ne cherchera pas à se soustraire à ses obligations militaires. Comme à l’accoutumé, c’est magistralement fait : de l’utilisation des flashbacks cinématographiques dans lesquels d’autres flashbacks s’incorporent, à l’absence de bordures de cases en passant par l’utilisation des fenêtres, des vitres ou des portes comme passages vers d’autres scènes… On est bluffé par la profusion de ces pirouettes graphiques qui nous attachent au propos avec fluidité. Un album à mettre d’urgence entre toutes les mains, pour le message que chacun y trouvera et pour la belle leçon d’art séquentiel.