L'histoire :
Dans un quartier minable de la ville, un type à la large carrure s'introduit dans un bâtiment anonyme. La faïence qui ornait jadis les murs de la cage d'escalier part en sucette, à l'image de cette ville. Deuxième étage. Une autre armoire à glace l'attend devant le seuil de l'appartement 237. Les deux hommes échangent avec des phrases codées. Il y a eu un meurtre, mais ce n'est pas un humain qui a été abattu et cela, ce n'est pas censé pouvoir être le cas. Les deux types entrent et inspectent les lieux. Du sang macule les murs et un humanoïde d'environ deux fois leur taille git sur un lit dont il dépasse de partout. Sa peau est bleue et c'est comme si un flux d'énergie froide continuait à émaner de son corps sans vie. Le détective laisse son acolyte quand il quitte les lieux, désemparé et pensif. Comme pour chacune de ses enquêtes, il commence par essayer de prendre des infos et il connaît très bien la patronne du bar le plus proche, alors il la rencarde mais cela commence mal, il n'a rien à en tirer...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Quand deux scénaristes aussi chevronnés que Matt Kindt et Jeff Lemire s'associent, on ne peut que se pencher attentivement sur ce que ça va donner. Et autant aller droit au but, c'est un très bon album que les deux complices nous proposent. Très vite, on est absorbé dans l'univers qu'ils déplient page après page : un polar urbain et SF qui s'avère aussi un hommage (revendiqué) à Jack Kirby. Si bien que petit à petit, l'histoire glisse aussi vers le registre de la SF cosmique, dans laquelle la place des hommes est ramenée à ce qu'il y a de plus dérisoire parmi les créatures de l'Univers. On peut supposer que le talent de Jeff Lemire se niche dans ce qu'il y a de plus attachant chez ce détective. L'homme est peu bavard mais sacrément efficace. Il est pétri de loyauté envers sa hiérarchie et si son boulot le conduit à vivre des moments particulièrement difficiles, c'est aussi un très bon époux et père de famille. Du côté de Matt Kindt, on va retrouver les thèmes de la manipulation et bien sûr, sa capacité à distiller les éléments qui font un bon polar : du mystère, de l'action et des révélations. Les deux auteurs ne manquant pas d'humour, on trouve également dans ce one shot ce qu'il faut de scènes cocasses et de dialogues qui vous font sortir un éclat de rire, avant de reprendre les choses sérieuses... Côté dessins, c'est David Rubin qui s'y colle et si son style un poil caricatural s'éloigne des canons classiques du comics, on ne peut que lui reconnaître l'art de découper ses planches, dont certaines donnent le vertige. Bien sûr, quand on vous dit que l'album est dédié à Kirby, le dessinateur en prend sa part et l'utilisation de ses couleurs fait partie intégrante de la narration graphique : des tons parfois sombres pour illustrer l'aspect inquiétant de ce monde urbain et futuriste, aux couleurs vives, voire psychédéliques quand on passe dans la dimension cosmique. Ajoutons que le large format du livre met pleinement en valeur le travail de l'espagnol, ce qui procure un plaisir de lecture maximal. Alors ce détective s'avère non seulement cosmique, mais assez unique. De quoi vous conseiller vivement de faire sa connaissance.
