L'histoire :
Whitechapel, 1888. Dans ce quartier mal famé de l’est londonien, conjuguant misère et déchéance, un étrange meurtrier sème la panique. Des prostituées sont étranglées, assassinées, mutilées et éventrées. Le procédé choque la police et les habitants du quartier. Il ne peut être l’œuvre que d’un homme méthodique et rigoureux, exerçant ses activités dans le domaine de la médecine. Plus qu’un simple tueur en série, le meurtrier, désormais surnommé Jack l’éventreur, semble être le rouage d’une machination qui dépasse l’entendement. En effet, il apparaît avec de plus en plus de certitudes que les hauts représentants de l'aristocratie britannique soient décidés à sauver la couronne d'un terrible scandale : le petit-fils de la reine Victoria a enfanté un bâtard avec une fille du peuple de Whitechapel. Sir William Gull, chirurgien de la reine, est alors chargé de régler le problème…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après les chefs-d’œuvre V pour Vendetta et Watchmen, Alan Moore confirme son génie avec From Hell. Dans ce véritable pavé de la BD, le scénariste convoque des figures mythiques (Baal, Horus, Dionysos), bibliques ou littéraires, pour une plongée dans l’apocalypse du Londres victorien. Rien de surprenant pour les lecteurs de la Ligue des Gentlemen Extraordinaires : le programme de Moore s’abreuve encore une fois aux sources de l’enfer et du chaos pour dépeindre un monde cauchemardesque aux vertus libératrices. Ne pas s’y méprendre, From Hell n’est pas que le simple récit d’une enquête policière, avec un serial killer et des meurtres à élucider. Au-delà de l’intrigue assez anecdotique (il est en fait question d’une vague conspiration fomentée par les hauts placés), la BD propose une réflexion métaphysique d’une profondeur inouïe, prenant pour objets le pouvoir, l’aliénation de l’homme et sa folie. Œuvre résolument noire, brillante réflexion sur le mal et ses déclinaisons crépusculaires, From Hell plonge le lecteur dans les recoins de l’âme et de la conscience pour fabriquer son propre mythe, celui d’un mal sans fin. Tel un miroir ou un écho fantasmé, le graphisme d’Eddie Campbell se met au diapason de l’ambiance glauque, avec un noir et blanc dégoulinant de crasse, sale et charbonneux. Tour à tour dépouillé et rigoureux, le trait vient sublimer la portée symbolique du propos. Le mélange d’une écriture profonde et d’un dessin au cordeau, accouche d’une construction magistrale, propre à faire de From Hell un véritable chef-d’œuvre du 9e art. Soulignons enfin la rigueur d’Alan Moore. Car pour montrer le chaos, il se fait brillant chercheur en compilant une documentation très fouillée, quasiment exhaustive, dans une affaire où les convictions l’emportent largement sur les certitudes ; 40 pages de notes viennent clore ce roman graphique à l’équilibre parfait. Sombre portrait d’une modernité à venir, From Hell (qui annonce d’une certaine manière l’avènement des régimes totalitaires) vous invitera finalement à mieux connaître l’essence humaine. Une œuvre cathartique, un horizon indépassable... Culte.