L'histoire :
Jimmy Corrigan est un adulte immature, âgé d’une trentaine d’années, vivant à Chicago. Difficultés à s’exprimer, angoisses persistantes et absence de joie se conjuguent pour offrir à Jimmy une vie sans aspérités. Célibataire endurci, il présente certains attributs du parfait nerd : solitaire, socialement handicapé, sans amis et ignoré par la vie. Par ailleurs, Jimmy entretient une relation presque incestueuse avec sa mère, sa seule famille. Sa mère est en effet une personne envahissante et possessive. Il ne se passe pas un jour sans que mère et fils n’échangent au moins deux ou trois appels téléphoniques. Un jour comme les autres, Jimmy reçoit une lettre de son père dans laquelle il lui propose de le rencontrer. Ce père, remplacé dans l’enfance par Superman, Jimmy ne l’a jamais connu. Animé par la curiosité et la perspective de modifier, un peu, le cours de son existence, Jimmy va s’envoler pour enfin rencontrer cet être longtemps fantasmé…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Célébré à Angoulême en 2003, Jimmy Corrigan est à ce jour le chef d’œuvre de ces dix dernières années. Chris Ware y donne ses lettres de noblesse au 9e art, en exploitant toutes ses possibilités. Audace graphique et narrative accouchent ici d’une œuvre à l’équilibre parfait. Sur le plan formel, Ware dynamite tous les codes traditionnels de la BD : sens de lecture parfois inversé, découpage étrange, lettrage variable, utilisation de pictogrammes, mise en page agrémentée d’explications, de résumés, de jeux, de questionnaires, objets à fabriquer ou encore format à l’italienne. Le dessin typé ligne claire, très épuré, est paradoxalement d’une richesse incroyable. Ware met ici l’ensemble du dispositif au service de l’efficacité narrative. Car, au-delà de la réussite formelle, Jimmy Corrigan brille aussi par une narration extrêmement riche et dense. Certains lecteurs décèleront notamment dans le comportement et la psychologie de Jimmy, une analyse freudienne de la relation père-fils. Superman, identifié ici à la figure paternelle, n’est en fait qu’un simple mortel au moment de tomber, comme une vulgaire crêpe, du haut des gratte-ciel de « windy city ». A partir de là, le monde de Jimmy s’effondre et ses illusions avec. Entre rêves et fantasmes, souvenirs et pulsions refoulées, le récit fait apparaître un Jimmy à la tristesse infinie, isolé dans un monde désenchanté et cruel, à la mélancolie, elle aussi, infinie. Musicalité du rythme, ellipses et non dits viennent quant à eux suggérer, et finalement incarner, un univers mental rendu très concret pour le lecteur. Jimmy Corrigan est une œuvre novatrice, qui exige un effort de la part du lecteur, celui notamment d’oublier un temps ses habitudes en matière de BD. Aux antipodes des récits spectaculaires de super-héros, Chris Ware offre une histoire à la fois banale et extra-ordinaire, où la lecture est une véritable expérience de vie. Plus qu’une simple BD, Jimmy Corrigan est un livre qui réinvente littéralement l’art séquentiel. Un choc esthétique, à lire absolument (en VO de préférence, si votre niveau d’anglais le permet).