L'histoire :
Eté 1984, Pellican Road. C'est un lotissement comme des milliers d'autres, avec des maisons construites dans les années 50. Les années en or. Mais depuis, tout a changé. Finie l'Amérique de l'abondance. Ce quartier résidentiel est devenu une banlieue qui abrite désormais des jeunes désœuvrés... Ça squatte toute la journée, ça picole et ça fume en écoutant la musique à fond. Et personne ne bronche. Jusqu'à ce jour où un gamin est en train de défoncer la gueule à un autre, pour une embrouille avec une nana. Et il y a ce type du coin de la rue qui débarque. Il exhibe sa plaque de flic et commence à hurler : « Ne bouge plus, petit merdeux ! »... C'est le genre de flic méchant, ça se voit dans son regard. La fille et le gars qui mouchent rouge ne bronchent pas. Ils sont en état de sidération. Ils reprennent vite leur esprit et affirment qu'ils ne veulent pas porter plainte. Ils flippent, c'est sûr et leur réaction déclenche un sourire froid chez le flic, qui précise qu'il s'en tape, vu qu'il n'est pas en fonction. Maintenant il se dirige vers l'agresseur. Tout le le quartier le connaît, on le surnomme Sid. Toni, c'est le prénom du flic, le branche direct : il parie que s'il le fouille, il va tomber sur de la dope : herbe, coke, héro, bref, que de la merde. Le dealer nie et la seconde d'après, il prend une grande claque. Les choses sont claires, le flic ne veut plus jamais le revoir dans le coin...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Tous les lecteurs de comics le savent, Ed Brubaker/Sean Phillips, c'est sans doute ce qui se fait de mieux en matière de polar, depuis des lustres. Et ce qui caractérise les personnages du scénariste, c'est certes la violence qui les habite, mais aussi cette dimension dramatique qui en fait, très souvent, des losers. Là où gisait le corps ne fait pas exception, mais cette fois-ci, Ed Brubaker abandonne le registre pur et dur du polar, pour nous concocter un thriller psychologique, avec pas moins d'une huitaine de personnages dont le parcours de vie se croise. Alors, ça reste bien noir, pas d’ambiguïté, parce qu'il dresse une nouvelle fois autant de portraits amers. Les uns sont cupides, quand les autres sont lâches et stupides. Il y a les menteurs et ceux qui se bercent d'illusions, tout en se vautrant dans l'adultère sous le prétexte qu'il sont amoureux. Il y a aussi les parias, ceux qui sont désormais à la marge de la société, le cerveau pété par leur passé de militaire. Aucune classe d'âge n'est épargnée, avec deux ados paumés, dont on suppose que les parents le sont tout autant, un psy pervers et une épouse délaissée. Il reste une môme, le seul personnage réellement attachant, qui voit la vie à travers le filtre des super-héros auxquels elle s'identifie. Sean Phillips est naturellement toujours au rendez-vous de l'âpreté des récits de son complice et son fils Jacob décline des couleurs qui transportent le spleen. Alors cette fois-ci on ne croisera pas de braqueurs supérieurement dangereux, mais il se dégage de ce one-shot l'amertume que doivent sûrement ressentir ceux qui ont à peu près tout merdé dans leur vie. Là où gisait le corps, c'est un endroit où l'Amérique ne brille pas...