L'histoire :
Alison est tiraillée entre son succès, ses valeurs et sa vie. Elle vit avec sa compagne, Holly, avec laquelle elle élève des chèvres naines. Son premier album, Mort et taxidermie, grâce à son succès, est maintenant adapté en série TV. Elle a donc dorénavant les moyens de vivre et de consommer pleinement dans ce pays capitaliste. Alors même qu’elle revendique le fait d’être lesbienne de gauche, végétarienne, anti-patriarcat et anti-capitaliste, elle n’hésite pas à se faire livrer ses courses et à commander sur Amazon. Elle en fait d’ailleurs son nouveau projet littéraire, intitulé $omme, qui serait un éclairage sur la surconsommation, les inégalités, la croissance illimitée, la concentration des médias… Mais avant cela, elle doit le vendre, même si c’est un magnat des médias conservateurs qui est intéressé. Alors qu’elle doit travailler sur un projet de série de téléréalité, elle passe davantage ses journées à scroller des contenus anxiogènes. Et puis, maintenant, c’est au tour de Holly d’être populaire après avoir remporté des millions de vues pour une vidéo sur les réseaux sociaux, où elle coupe du bois. La jalousie du côté d’Alison la ronge. Il y a aussi leurs voisins, normatifs, qui représentent le couple traditionnel, démocrate, bourgeois, citadin expatrié à la campagne. Et leur groupe d’amis, qui ne loupe aucune diffusion de la série d’Alison et qui font diverses expériences sexuelles et sentimentales, pendant que leurs enfants se battent pour des causes sociétales diverses.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En couverture de son autofiction, Alison Bechdel revisite cette fois la célèbre peinture de Grant Wood, représentant un couple de paysans à la fourche. Un clin d’œil à l’Amérique rurale et à ses archétypes, qu’elle détourne pour mieux interroger son propre quotidien. Elle met en scène sa vie avec sa compagne, dans leur refuge. Un quotidien rythmé au gré des espoirs qu’elle se fixe : écrire, corriger et imaginer son prochain livre, le mémoire de sa sœur ou sa future téléréalité. À travers sa vie, elle parvient à retranscrire la nôtre depuis l’arrivée des réseaux sociaux et d’Internet. Un agenda bouleversé, où le temps passé à scroller devient relatif, où la concentration se raccourcit et où il faut sans cesse rentabiliser. Le rythme est assez lent, sans grandes péripéties ni événements marquants. Seulement des jours qui passent, avec leur lot de contrariétés, de paradoxes et d’espoirs. Heureusement, elle peut compter sur son groupe d’amis, les mêmes que dans Les Gouines à suivre, avec quelques années supplémentaires. Le lecteur adopte un point de vue externe : il ne fait qu’observer. Il est placé comme un témoin, ce qui le renvoie inéluctablement à sa propre condition. Elle réussit une fois de plus à conjurer la complexité de l’être humain avec beaucoup d’ironie, d’humour et de décalage. L’apport de l’autodérision dans son œuvre apporte de la légèreté et permet également de prendre de la distance avec tout ce qu’on s’impose et qu'on s’inflige. Son graphisme est saccadé, presque figé : c’est le dialogue et le scénario qui donnent le ton, ils illustrent. Néanmoins, si l’on regarde de plus près, ils racontent aussi une vie autour d’elle, tellement ancrée que personne ne s’en aperçoit : ses chats ! Ils sont toujours présents, discrètement mais fidèlement. Sa compagne Holly est la coloriste. Elle aborde un univers pop, aux couleurs franches et criardes, qui donne un côté rétro-cartoon. Une lecture agréable, qu’il sera bon de relire et de conseiller.