L'histoire :
Dans sa vie, Donald Trump aura tour à tour et dans le désordre été gosse de riche, promoteur immobilier millionnaire, gérant malheureux de casinos, de restaurants, d'universités, de vins, de vodkas, de cravates, de steaks, star de télé-réalité, propriétaire de ligue de football américain, de concours de miss, figurant dans des films, expert autoproclamé en politique et en tout et n'importe quoi, propriétaire de compagnie aérienne, etc. Il était donc tout naturel que Donald Trump devienne leader du monde libre et qu'on lui confie l'arsenal atomique américain. Comment Gary Trudeau, l'auteur du comic-strip Doonesbury ne l'a-t-il pas vu venir ? Lui qui a croqué la tignasse faiblissante de la grande gueule la plus pénible du continent américain, pendant plus de trente ans. Et pourtant, dieu sait que Donald lui a mâché le boulot en devenant, peu à peu, un véritable cartoon vivant et gesticulant.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avant toute chose, sachez que cette chronique contient treize fois le mot « Trump », ce qui signifie qu’il s’agit indéniablement de la meilleure chronique que vous ne lirez jamais sur ce site. Ok ? Bon. Doonesbury est un pan incontournable du cartoon et de la culture pop américaine en général. Apparus dans les années 70 sous la plume de leur créateur, Gary Trudeau, les personnages de la série valurent à celui-ci d'être le premier cartoonist à recevoir le prix Pulitzer, en 1975 puis, en 1986, le fameux prix Reuben décerné par la National Cartoonist Society. Ces tranches de vie suivent depuis ses débuts toute une galerie de personnages qui se trouvent tour à tour mêlés aux grands évènements et mouvements marquant l'Amérique (les guerres, les scandales...), il était tout naturel que Doonesbury ait abordé au moins une fois le personnage de Donald Trump. Énorme recense ainsi quelques-unes des plus fameuses apparitions du « génie stable » devenu le 45ème président des États-Unis. Après une introduction nous apprenant tout le bien que pense Trump de Trudeau et de ses caricatures (est-ce qu'il le déteste ? Lui est-il inconnu ? Comme toujours, avec Trump, cela dépend du jour de la semaine), on aborde le Trump des années 80. Et on se rend vite compte que, tel un moustique pris dans l'ambre, Trump est avant tout un retour dans le passé. Fana du clinquant et du raisonnement fallacieux, voulant que l'argent implique forcément le talent, Trump piétine son lourdaud de chemin depuis les années fric jusqu'à nos jours, ne se remettant jamais en question. Vulgaire, arrogant, persuadé d'avoir à donner son avis d'expert sur tout, Trump reste toujours le même. Chose amusante, l'ouvrage est sorti aux États-Unis quelques semaines avant la victoire de Trump aux présidentielles américaines, alors même que personne ne croyait encore en ses chances (ah, le collège électoral et ses facéties !). Et vous non plus, vous n'y croirez pas en lisant Énorme ! et en allant vérifier les propos et comportements rapportés. Pour ce qui est du contenu en soi, Doonesbury reste avant tout une publication à très large diffusion, au long cours et destinée avant tout au public américain. Comprenez par-là que nombre de références, qu'elles soient à destination des fans de la série ou des fins connaisseurs de l'histoire récente des USA, risquent de passer très loin au-dessus de la tête des lecteurs français car, et c'est sans doute à la fois la force et la faiblesse du recueil, il s'agit là d'un commentaire satirique de faits réels. Or, si on n'a pas soi-même la connaissance des frasques et déboires passés de Trump, peu de chance que les blagues concernant ses nombreux échecs, y compris ses mariages, ou sur ses délires et autres mensonges largement connus outre-Atlantique (comme de se faire passer pour un de ses collaborateurs pour vanter ses prouesses amoureuses) ne fassent mouche. De plus, certaines séquences (parfois longuettes) s'attardent sur les personnages de la série, le temps d'un arc narratif débutant et se concluant avec le personnage de Donald Trump, sans que celui-ci ne fasse la moindre apparition ni même ne soit évoqué entre-temps. Pour faire court, Énorme (dont le titre original, Yuge!, fait lui-même référence à la manière débile dont Trump prononce certains mots) s'adresse avant tout aux américanophiles et à un lectorat connaissant un minimum le sujet, le tout avec une approche intelligente, mais à laquelle il manque un vitriol auquel des publications bien de chez nous telles que le Canard ou Charlie nous ont habitués. Même s'il faut bien admettre que la gymnastique du coiffeur de Donald Trump sur son crâne luisant et annoté à la manière des illustrations visibles chez le boucher vaut bien le détour...