L'histoire :
Un mardi, dans la petite ville de Dockwood. Comme tous les matins, un jeune homme prend le bus pour se rendre sur son lieu de travail : une maison de retraite à Elmview. Comme tous les matins, il enfile son tablier, fait la plonge, se prépare un petit déjeuner, les légumes et les repas, puis les apporte aux pensionnaires avec lesquels il échange des banalités sur le temps qu'il fait. Dans la rue Nettlefield, le livreur de journaux finit sa ronde. Dehors, tout le monde vaque à ses occupations tandis que la vie suit son cours. Écureuils et oiseaux mènent leur petite vie tranquille. Ailleurs, un garçon se rend à son collège pour y suivre les cours et discuter avec ses amis...L'histoire de consciences, d'existences et de trajectoires qui s'éprouvent dans le ralentissement du temps.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Jon McNaught venait de nous enchanter avec Dimanche, invitation à la contemplation paresseuse, un jour de repos en banlieue. Il récidive ici, dans un livre élégant plus grand, plus dense mais toujours aussi contemplatif et mélancolique, qui dépeint le quotidien croisé de personnes solitaires, prisonnières de leur routine. S'inscrivant dans les pas de Chris Ware, qui d'ailleurs ne tarit pas d'éloges sur le livre, McNaught capte ces détails insignifiants de la vie ordinaire - un oiseau perché sur une branche, une lettre postée, un lever de soleil, une odeur de cuisine, un écureuil dans un arbre- et dilate le temps à l'infini pour mieux révéler l'essence des objets et l'état intérieur des personnes. Le monde dans lequel évolue les personnages, tous anonymes, est d'ailleurs banal au possible, volontairement. McNaught s'intéresse plutôt à l'expérience et à la sensation du temps qui passe. Celui qui s'étire à l'infini, un temps lent et élastique. Grâce à la description de ces tout petits riens, de ces détails, l'auteur crée une ambiance unique, presque magnétique, parfait contrepied de la routine décrite, et cherche, semble-t-il, à révéler la musique intérieure des choses, écho poétique à la quotidienneté du réel. Raison pour laquelle il ne cesse aussi de répéter mouvements, sons, objets, tous décomposés pour en montrer le caractère double : à la fois anecdotique et signifiant, au rythme d'une pulsation cadencée. Peu de mots mais une jolie musicalité drapée de teintes bleutées et orangées, chantante et poétique, celle de la mélancolie, "un état suspendu entre la joie et la tristesse(...) manifestation ou matériau de la vie" (Jacques Samson). Appuyé par un découpage nourri d'ellipses, aussi éloquentes que discrètes. En étant présent au temps et habitant leur existence, les personnages acquièrent au fil des pages une épaisseur et une densité rares, qui les rendent attachants. Le même Jacques Samson écrivait d'ailleurs ceci à propos de l’œuvre de Chris Ware, tout à fait transposable à Automne : "il raconte le temps à condition de faire corps avec le monde intérieur(...)", et évoque "l'expérience d'une durée pétrifiée", apaisante ici. On ne saurait mieux décrire ce qui se joue chez ces deux auteurs. Chris Ware parle d'Automne, BD légère et élégante qui est aussi une expérience multi-sensorielle, comme "l'une des plus belles odes à la simplicité de la vie". Rien que ça ! Retenez une chose : McNaught est un talent à suivre de près. Pas moins qu'un digne successeur de Ware, et non un simple épigone...
