L'histoire :
Emile Delilah, originaire du New Jersey, est xénophile, une personne passionnée par les coutumes étrangères. Plutôt que de tourner sur lui-même, il part explorer un bien curieux archipel : les îles Tensint, connues pour leur ruines monumentales de toilettes publiques. Sur cette île étrange "en forme de pantoufle défoncée", le léchage de cône de crème glacée a été élevé au rang de discipline artistique ultra sophistiquée tandis que l'acte même d'ouvrir une conserve a pris le caractère d'un véritable rituel, puisque l'île est célèbre pour son importation massive de boîtes de conserve. Sur le chemin, Emile rencontrera Elijah Salamis, militant extrémiste pour la disparition de toute frontière politique et culturelle, et Boreal Rince, le roi en exil du Canthus-Extérieur...Jusqu'au jour où une accumulation de solvants de pressing dans les sols fait disparaître l'île. Mais, miraculeusement, Emile y échappe de justesse...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Si L’Odyssée d'une valise en carton paraît imbuvable de prime abord avec sa densité et ses phylactères peu engageants, il se révèle en fait passionnant à la lecture. Les strips qui le composent ont été prépubliés dans The New-York Press avec une périodicité hebdomadaire ou mensuelle. D'où ce foisonnement narratif et graphique qu'il vaut mieux aborder par petites touches sous peine de couler. Ben Katchor, en décrivant le périple d'un infatigable voyageur en quête de connaissance, explore les apparences du quotidien pour y déceler ce qui fait sens via des sensations olfactives ou auditives : une boite de conserve, des toilettes publiques, un tube de dentifrice, une valise en carton ; des détails banals, la trivialité d'une journée ordinaire mis en mouvement et en poésie par des récitatifs qui jouent le décalage entre proximité et étrangeté, familiarité et occultisme. Si les dialogues ou monologues paraissent sans queue ni tête ou étranges, car mis bout à bout sans logique apparente et portés par un soupçon d'anormalité, ils révèlent en fait une douce poésie opérant par associations d'idées où les mots les plus improbables sont collés avec une étonnante régularité (l'île était connue des navigateurs comme la seule escale-toilettes de toute la vaste mer d'Hyaline ; "avec 10 kg d'herbe verte nous pouvons manufacturer une brosse à dents pour enfant). En ressort au final une magnifique psychogéographie poétique en forme de cartographie de l'errance. Ben Katchor confirmant ici tout son talent à fuir les sentiers battus. Une œuvre d'autant plus belle qu'elle est exigeante, et qui saura s'offrir pleinement au lecteur curieux.