L'histoire :
Joe Sacco séjourne à Sarajevo, de l’automne 1995 à l'hiver 1996, peu après le siège de deux ans subi par la ville. Journaliste et auteur de BD, il tente de restituer l'expérience du conflit en ex-Yougoslave, entre Serbes et Bosniaques. Là-bas, il rencontre peu de gens. Mais une personne va particulièrement le marquer car il ose parler ouvertement de cette période complexe. Son interprète, son guide, son fixer : Neven. Membre d'une unité militaire quasi criminelle au moment du siège de Sarajevo, le passé de l'homme n'inspirait a priori aucune confiance. Peut-on se fier à la version d'un individu qui a servi des seigneurs de guerre ? A vrai dire, qu'importe, Sacco n'avait pas vraiment le choix pour faire son travail. Il lui fallait un local qui connaissait le terrain, les bonnes personnes, quitte à sacrifier un peu d'objectivité sur les récits de guerre. Personnage énigmatique, à la fois touchant, mystérieux et ambigu, Neven va devenir plus qu'un fixer pour Joe Sacco. Quoi, on ne le sait pas vraiment, mais c'est là tout l'intérêt. Une relation intense et ambiguë rythmée par les demandes d'argent et les monologues du fixer...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans la lignée de son livre magistral Gorazde, le journaliste dessinateur Joe Sacco poursuit son exploration du conflit en ex-Yougoslavie. Le livre évoque la rencontre et la relation entretenue avec Neven, son "fixer", sorte de guide pour journaliste en mal de repères, qu'il a rencontré en 1995 après le terrible siège de Sarajevo par les Serbes. Sa mission : lui apporter son expertise du terrain avec son lot de fantasmes, d'imprécisions et de vérité crue. Neven connaît les gens, les lieux et peut ainsi orienter Joe Sacco, moyennant un peu d'argent. Déroulant en parallèle faits de guerre relativement complexes et anecdotes sur la relation qui se tisse entre lui et son fixer, Joe Sacco réussit à faire toucher du doigt toutes les ambiguïtés du conflit : le gouvernement bosniaque obligé de faire appel à des voyous pour défendre Sarajevo, des défenseurs qui deviennent des bourreaux, des sauveurs des meurtriers, les seigneurs de guerre changeant leur fusil d'épaule en fonction des évènements. Même Neven est devenu fixer après avoir servi un chef de guerre...Un fixer difficile à cerner d'ailleurs, énigmatique et curieux, avec ses parts d'ombre, à l'image du conflit. Joe Sacco prévient le lecteur : Neven est-il fiable? Dit-il toute la vérité? Evidemment, il n'est pas dupe de ses propos. Au lecteur de placer le curseur. A travers le parcours de Neven, c'est bien l'histoire de Sarajevo qui affleure, celle d'une ville soumise aux tirs des snipers et aux bombardements des Serbes de Bosnie entre avril 1992 et février 1994. Mais aussi l'itinéraire de seigneurs de guerre ivres de pouvoir et assoiffés de vengeance. Encore une fois, rigueur, exigence et nuance balisent l'enquête de Sacco, qui évite tout parti-pris pour livrer une vérité brute, dans un style graphique toujours à mi-chemin entre réalisme et caricature. Moins profond ou limpide que Gorazde, The Fixer est en tout cas son parfait complément. Une plongée intéressante dans les coulisses du journalisme et un témoignage circonstancié qui tente "de montrer comment, en période de crise extrême, une ville presque sans défense a fait appel à ses loups pour défendre le troupeau...". Une belle réédition anniversaire, augmentée d'une interview de Neven et des notes de terrain de Joe Sacco, croquis et photographies à l'appui.