L'histoire :
Comme chaque jour – et chaque nuit, presque – Dee est attablée chez Sunrise Diner, en train de faire ses mots croisés. Un gros type s’impose à sa table et il a l’air bien décidé à entamer la conversation. Dee est d’autant plus intriguée qu’il semble tout savoir de sa vie. Il lui offre 500 balles en échange de 5mn de sa vie. Il lui explique qu’il lui offre un super job : 500 balles chaque jour en échange d’un boulot quotidien ultra simple : allumer une lumière rouge au-dessus d’une porte qui comporte une serrure à code, qu’elle trouve dans les mots croisés. Chaque jour de l’année, 365 jours par an. Evidemment, Dee accepte. En quelques mois, elle se fait un pognon de fou. Elle s’enferme dans une routine qui la tue à petit feu. Elle s’occupe des pigeons sur le toit de l’immeuble. Elle fait les mots croisés. Elle trouve le code et le balance par radio interposée. Elle claque sa thune dans un pipe-show pour lesbiennes. Jusqu’au jour où… il n’y a rien dans le journal. Et ça, quand il n’y a rien dans le journal, ça signifie que c’est la fin du monde. Alors Dee flippe. Et elle a raison, car elle est sacrément mal barrée…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Composer un thriller noir et glauque, à partir d’une narration déstructurée, d’un découpage original, d’un dessin semi-réaliste qui joue à décentrer les cadrages ou à focaliser sur tout autre chose que le sujet… Voilà la spécialité du scénariste Matt Fraction, qui n’a pas son pareil pour marier une narration moderne à une ambiance sordide, dans les bas-fonds plutôt nocturne d’une grande ville américaine de type New York. La limite de l’exercice séquentiel est atteinte lorsque le seuil du morcellement (osons : du « fraction »-nement !) est dépassé, que les temporalités se mélangent sans transition, que les encadrés narratifs expriment les pensées de protagonistes décorrélées de ce qui est représenté dans les cases. Or c’est ce que propose le premier tome de November, sur le diptyque prévu. D’ailleurs, pourquoi « November » ? Quel rapport avec les destins tourmentés des trois femmes qui nous sont donnés à suivre en alternance ? Dee, handicapée, junky et blasée. Kowalski, policière standardiste en surmenage volontaire. Emma-Rose, prisonnière et hantée par ses souvenirs de cerf-volant infantile. C’est très décousu. Tantôt explosif, avec un fort sentiment de corruption dégueulasse. On lit une première fois en se disant qu’on finira par recoller les morceaux. Puis on lit une seconde fois en concluant que la narration patchwork pousse le bouchon vraiment trop loin. L’inventivité narrative a certes ses mérites ; mais rester explicite en matière de suspens et d’art séquentiel est un savoir-faire qui fait hélas ici défaut. Le dessin très abouti d’Elsa Charretier et la subtile colorisation en bichromies de teintes fades signée Matt Hollingsworth sont les meilleurs atouts de ce premier opus, qui a intérêt à livrer toutes ses clés dans le second tome à venir, pour devenir un vrai bon foutu thriller.