L'histoire :
Un bus, un passager, un conducteur, un arrêt : d’infinies possibilités. L’homme, rondouillard, imperméable classique, lunettes cerclées de noir et crâne dégarni, est usager régulier du bus 2233, aux destinations variables : « Broadway », « centre ville », « où bon me semble », « rue King-rue Kong », « nord », « sud », « est », « ouest ». Ce véhicule, personnifié, et son conducteur, s’accordent une existence défiant toutes les lois du réel, soumettant l’usager régulier à de multiples perturbations… Sans argent pour payer son ticket ? L’individu devient galérien sous l’œil autoritaire d’un garde-chiourmes aux allures de gladiateur. Assis à côté d’une femme vêtue d’une veste de sport et d’un bonnet ? La banquette se met à décoller, alors convertie en télésiège. Victime d’un bouleversement des perspectives, le voilà corps gigantesque, puis minuscule dans le couloir du mythique bus…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Trente ans séparent les strips originellement publiés entre 1979 et 1985 dans Heavy Metal et édités en recueil dans Le bus (Tanibis, 2012), et ce deuxième ouvrage. Des mots de Paul Kirchner dans la postface du premier volume, ce regain d’intérêt pour ces planches, ainsi qu’un « déclin des travaux commerciaux », l’ont invité à sortir le bus de l’entrepôt. La continuité est fascinante : le trait, l’humour et l’inventivité n’ont pas pris une rayure. Toujours en format à l’italienne, le livre, composé d’un strip muet par page variant de six à huit cases, développe une esthétique noir et blanc vintage, faisant des clins d’œil, ici aux comics des années 70, là aux « funny animals » de Don Rosa. S’appuyant sur les codes classiques du comic strip – notamment la temporalité resserrée, les gags s’apparentant à de brefs sketchs animés conclus par une chute - Paul Kirchner construit un véritable laboratoire de la métamorphose. Illustrant la définition biologique du terme, la première planche annonce métaphoriquement le concept : le protagoniste passe de nourrisson à adulte après passage dans le mythique véhicule… Ce personnage itératif, simple ac(tiva)teur de ces courts récits, se voit dès lors soumis à un détournement systématique du réel, qui n’existe que pour être toujours mieux contrarié. Chaque planche, trésor de créativité, s’appuie ainsi sur la transformation visuelle ou narrative d’un ou plusieurs éléments, dont l’incongruité nourrit un humour sans faille et des trouvailles graphiques détonantes.