L'histoire :
2089. La Terre ou ce qu’il en reste. La population mondiale fuit une réalité sans espoir en se reliant au réseau, un flux continu d’images et de satisfactions factices auquel des milliards de gens sont connectés en permanence, certains n’ayant même plus conscience de ce qui se passe autour d’eux. Le gouvernement est aux mains des créateurs de ces divertissements et Led Dent et Debbie Decay sont le bras armé de ce pouvoir corrompu. Led est le flic le plus craint de Los Angeles. C’est aussi un de ces accros au virtuel. Debbie, tout au contraire, est une no-tech, une des dernières personnes à refuser d’être connectée. Debbie et Led s’aiment depuis l’enfance, mais Debbie sent bien qu’elle est en train de perdre son amoureux. Pourtant, elle continue de veiller sur lui et veut rester jusqu’au bout son ultime lien avec le monde réel. Led et Debbie acceptent une ultime mission. Elle doit les emmener en plein cœur des Jardins Préservés de Tokyo, loin de l'influence de leurs commanditaires.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Il y a 3 ans, Urban Comics proposait en deux tomes distincts cette charge héroïque de Rick Remender contre l’addiction de plus en plus forte de nos concitoyens au monde dématérialisé, aux réseaux sociaux et à la télé réalité. Le premier volume laissait espérer une mini-série de légende, tant Remender trouvait un équilibre quasi parfait dans sa double narration : d’un côté, une narration par le dessin, très proche des meilleurs films d’action, virtuoses dans sa fluidité et ses enchainements et de l’autre, une narration par l’écrit, qui enrichit l’univers et dévoile la psychologie et le regard des personnages sur l’époque et les événements qu’ils traversent. Quand le mix des deux se fait, c’est un pur enchantement et un gage de moments forts et d’un univers très riche. Et sur ce titre, Remender relevait haut le gant, réussissant en quelques chapitres à dépeindre son univers déglingué et putride, à nous secouer par ses questionnements et à amener une histoire d’amour touchante entre deux personnages tragiques et déchirants. C’est cette histoire d’amour plus grande que la vie, qui donnait de la chair à l’histoire et nous scotchait littéralement aux pas de Led et Debbie dans leurs pérégrinations tokyoïtes. On espérait donc énormément du second volume, mais à sa sortie, ce fut un peu la douche froide. Tous les personnages auxquels on s’était attaché avaient disparu, ou n’étaient plus que des silhouettes d’arrière-plan fantomatiques. L’histoire s’écrivait désormais du point de vue des « méchants », des créatures cyniques et par trop unidimensionnelles, rabâchant à l’envie un seul et même discours. En gros : « Le monde du divertissement ne proposerait pas des contenus aussi débiles si les gens ne réclamaient pas des contenus aussi débiles ». Pour compléter le tout, le grand méchant a une idée « géniale et monstrueuse » pour sauver le monde de la catastrophe écologique et économique qui s’annonce… et c’est à peu près tout. La richesse de la première partie fait place à des idées un peu balourdes et redondantes qui s’étirent sans convaincre, ni toucher. C’est d’autant plus dommage que la partition graphique de Sean Murphy est au top de bout en bout. Il installe un univers urbain totalement convaincant et une narration graphique d’un dynamisme à toute épreuve, touchant parfois à la magie et au sublime quand il s’agit de Tokyo et de son univers déconnecté où la nature et sa beauté ont encore toute leur place. On a presque l’impression que Murphy est en train de faire ses gammes en vue de ce qui deviendra son « grand œuvre », le Batman White Knight, qu’il réalisera dans la foulée de ce Tokyo Ghost. Tout est déjà là : un pseudo Joker, un univers de buildings, un héros à la fois invincible et torturé, des médias omniprésents. Si on aime le travail de Murphy (et il est ici à son meilleur), on préférera la version noir et blanc où chaque planche explose d’énergie et de beauté époustouflante. On n’était donc pas loin du chef d’œuvre. La version intégrale et une lecture dans la continuité sauve un peu ce sentiment d’avoir perdu nos deux héros en cours de route. L’écho de leur histoire d’amour reste durablement accroché à nous et continue de traverser le récit tout du long, mais de façon trop faible pour être totalement convaincante. A découvrir malgré tout pour la perfection de la première moitié et le travail envoutant de Sean Murphy.