interview Bande dessinée

Camille Maestracci

©Le 9ème élément édition 2021

Camille Maestracci arrive dans le paysage BD avec deux sujets diamétralement opposés : les Dryodes et Les fabuleuses aventures de Ludwig Van Multbutter et son fidèle compagnon Gérard. Elle s’est prêtée au jeu de l’interview, « qui au final est vachement moins terrible » que ce qu’elle avait imaginé. Un samedi de juillet, quelque part en pays sétois, lors d’une exposition organisée par son ancienne professeur d’arts plastiques, et actuelle éditrice, Audrey Cavaillé, co-fondatrice de la maison d’édition indépendante, le 9ème élément.

Réalisée en lien avec les albums Les Dryodes T1, Les Fabuleuses Aventures de Ludwig Van Multbutter
Lieu de l'interview : Chapelle des pénitents, Sète

interview menée
par
16 août 2021

Copyright Camille Maestracci

Bonjour, Camille, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Camille Maestracci : Je m’appelle Camille Maestracci, je suis auteur de bande dessinée. Je fais 1m55 et demi (rires). Après un Bac Scientifique, je me suis orientée vers la licence de biologie… J’y suis restée 1 mois et demi, le temps de m’apercevoir que ce n’était pas fait pour moi. Je préférais dessiner les souris que je disséquais. Il me fallait quelque chose de créatif. Et je n’assumais pas encore le dessin. Alors, je me suis dirigée vers les compagnons du devoir en ébénisterie… Là aussi, j’y suis restée deux mois, le temps d’y aller et de revenir. Dès lors, j’ai mis mon temps à profit pour dessiner. Puis j’ai décidé de m’inscrire en licence d’Arts Plastiques à l’Université de Montpellier, en 2012/13. C’est là que j’ai découvert la BD en suivant les cours d’Audrey Cavaillé. Avec le recul, je suis arrivée au bon moment, lorsque l’équipe pédagogique a changé. Je me suis vraiment éclatée. J’ai fait le double des planches demandées et j’assistais même aux cours de BD des autres groupes ! Et pour compléter ma licence, j’ai suivi un Master de BD à Angoulême. L’approche et la pédagogie y étaient différentes, dans une démarche très moderne. Les workshops avec des auteurs de l’extérieur m’ont toutefois beaucoup aidée dans mon apprentissage. Enfin, à force de bosser sur les projets personnels, j’ai soumis mon dossier professionnel à Audrey Cavaillé pour avoir son avis. Elle m’a fait attendre un moment… car elle était en train de monter sa maison d’édition, stimulée par le souhait de valoriser les jeunes talents. L’aventure éditoriale a commencé ainsi avec le 9ème Élément.

A quel moment où tu t’es dit : « Ça y est, je tiens une bonne idée et je vais l’exploiter ! » ?
CM : Cela s’est fait plus insidieusement. Les Dryodes ont été créées pour un défi, posté sur un forum de dessin, ayant comme thème : « une forêt dans un univers parallèle ». Dans une forêt mécanique, je me suis attachée aux personnages mécaniques qui ne s’appelaient pas encore les Dryodes. Je n’ai pas arrêté de les dessiner. Les personnages sont attachants. Grâce à mon amour de la BD et de la narration, j’ai eu envie de les faire vivre, de faire en quelque sorte mon film d’animation toute seule. Pour les Dryodes, dans mon projet de base, je voulais faire une BD muette. Les personnages ne pouvaient pas parler pour moi, ce n’était pas possible. Il a fallu trouver un compromis. Je suis attirée par les images qui parlent d’elles-mêmes. C’est souvent plus profond et poétique que d’utiliser des mots pour s’exprimer. Dessiner pour exprimer des choses que les mots ne peuvent pas porter. Les Dryodes sont des créatures très pures, elles ont un langage immédiat, sans mot, ils ne souffrent pas d’un deuxième sens. Le dessin me permet de m’exprimer. Je vois les Dryodes comme des chats plus évolués. Je vois une dimension animale plus pure et désintéressée, proche de la nature en fait. Copyright Camille MaestracciC’est quelque chose que l’on a un peu perdu je trouve. Quant à Ludwig, le roi de la catastrophe bienveillante, il est une preuve que dans la vie, tout est question de point de vue. Je le démontre dans cette BD. On peut se placer de part et d’autre d’un conflit. Chacun a ses raisons. On n’est pas obligé de s’engueuler. Il ne comprend rien mais il a de très bonnes intentions. Il ne faut pas lui en vouloir. Lui, je l’ai créé lors d’un cours d’esthétique de l’art… Je ne saurais vous expliquer ce que c’est. Je me sentais un zombie, donc j’en ai dessiné un avec un poulpe sur la tête. Et je me suis dit « il faut que je fasse quelque chose avec ça ».

Tes univers sont si différents que l’on a l’impression de se trouver face à deux autrices bien distinctes. Comment l’expliques-tu ? D’où vient cette imagination débordante ?
CM : Je n’aime pas avoir l’impression de refaire des trucs que j’ai déjà faits. J’ai envie de faire des choses différentes, d’apprendre. On le voit dans les planches de Ludwig, c’est toujours différent. Si l’on observe le découpage de Ludwig, la partie avec les humains, les cases sont droites, et lorsque Ludwig arrive, il amène le bordel avec lui-même dans la mise en page ! (rires) Les cases changent de formes, plus en arrondies, plus courbes. Un truc pas droit.

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Tu travailles avec des médiums différents sur tes deux BD… explique-nous ta démarche créative ?
CM : Pour le tome 1 des Dryodes, j’ai commencé le dessin avec du brou de noix. Je suis très à l’aise avec. Ça se travaille bien et le papier mi-teint, c’est très agréable de dessiner là-dessus. Le sépia est rapide à travailler aussi.

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Pour Ludwig, je suis restée sur du noir et blanc, avec les contraintes du comics, de l’encre de chine plus ou moins diluée selon les endroits et la plume. Cela me permettait aussi de faire plus de pages. Le tome 2 sera à la gouache, plus opaque. Elle se travaille plus facilement que l’encre de Chine. Il n’est pas simple de revenir dessus contrairement à la gouache. Je peux recommencer à certains endroits si cela ne me convient pas. Il n’y aura pas de couleurs non plus dans ce tome. Quant à connaître la vraie couleur du poulpe Ludwig ? Le poulpe-camouflage qui peut vaguement changer sa couleur comme il l’entend. C’est mon excuse pour justifier les changements de couleur sur les illustrations (Sourire).

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Pour le tome 2 des Dryodes, j’ai choisi l’aquarelle, car j’en ai l’habitude, c’est le médium que je maîtrise le mieux. Je l’utilise dès qu’il faut mettre de la couleur. Ainsi, j’ai colorisé le drapé de Grou en bleu, car j’adore cette couleur, et le pagne de Graw, en rouge. D’ailleurs les vêtements des Dryodes sont tressés au Chatterton… Oui, les Dryodes tressent leurs habits au Chatterton, il y a des arbres à rouleaux adhésifs dans les planches. C’est ce que je souhaite expliquer dans un Art Book, avec énormément d’illustrations.

Justement, peux-tu nous parler cet art book ?
CM : Avec l’accord de la maison d’édition, j’ai l’intention de créer un art book complet sur les Dryodes. J’ai envie de tout expliquer à leur sujet : la faune, la flore, leur habitat, leur rituel, les bestioles, leur écosystème… partir très loin là-dedans. Il sera édité en couleur. Ce sera le codex des Dryodes !

Et tes autres projets en cours ?
CM : J’alterne entre les projets. Cela me permet de respirer. Comme ça les Dryodes me manquent quand je dessine Ludwig et inversement. Je ne comprends pas les auteurs qui font les mêmes personnages pendant 10 ans. Je m’ennuierais. Je construis le storyboard de Ludwig T2, j’ai tellement peur de trop en dire. Il sera plus profond, plus recherché. Je n’ai pas encore d’échéance. Je n’ai pas encore évalué la charge de travail (énorme) que je vais tomber. Il est prévu environ 135 planches, un chapitre de Ludwig équivaut à une BD des Dryodes en termes de pages. Je travaille aussi sur des commandes. Je me consacre entièrement à la BD. Et j’ai un autre travail qui me permet de mieux m’organiser dans ma gestion du temps, sinon je passerai des heures sans lever le nez de mes planches. Cela me donne une raison de sortir de chez moi et de voir du monde. Je travaille plus efficacement aussi. Je travaillerais bien aussi en binôme, à l’avenir, sur le scénario et le dessin, dans l’univers de l’humour décalé et absurde. Toujours dans la fantasy. Pas dans l’historique, ni le réalisme. Cela me plairait bien aussi de créer une BD pour enfants, les Dryodes s’y prêtent car ils sont doux, c’est mignon. Mais cela demande d’être muri. C’est un autre travail, on n’écrit pas pareil pour les enfants que pour les adultes. Et plein de choses comme l’animation ou les jeux vidéo... J’ai 40 000 projets en tête ! (rires)

Et si tu avais le pouvoir de te mettre dans la tête d’un auteur ? Qui serait-ce ?
CM : Je vis toute seule dans ma tête en fait. Chaque fois qu’on me parle d’auteurs, je ne les connais pas ! (rires) Mais si je le devais, ce serait dans celle de Juanjo Guarnido. J’ai envie de comprendre comment il fait. Tout me plaît dans sa façon de dessiner : la mise en scène, la couleur, les personnages. Il a travaillé dans l’animation, cela se perçoit. C’est vivant. Il a cette faculté de créer des personnages qui bougent alors que l’image est fixe. Et s’il veut nous rejoindre pour des projets, il est le bienvenu ! L’animation a beaucoup à offrir au dessin. J’ai fait des recherches sur l’animation. Cela m’aide d’ailleurs pour la mouvance du poulpe Ludwig. Il devient plus mou, flexible et plus expressif, cela me permet d’améliorer l’efficacité de mon dessin. Cela me plait et peut m’apporter des choses dans mon travail.

Merci Camille et belle continuation (avec les produits dérivés ;-p) !

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