Présent depuis près d'une dizaine d'années dans la sphère comics, l'espagnol David Lafuente a, l'air de rien, mis en scène de nombreux personnages mythiques de la bande dessinée américaine. Que ce soit Spider-Man, les X-Men ou encore Batman, l'artiste a toujours étonné par son style cartoony et fortement influencé par les mangas. Pour la rentrée 2017, c'est sur la suite des aventures d'Archer & Armstrong que l'on recroise le dessinateur et comme il était de passage en France pour soutenir la sortie du titre chez Bliss Comics, nous en avons profité pour lui poser plusieurs de nos questions.
interview Comics
David Lafuente
Bonjour David Lafuente, peux-tu te présenter ?
David Lafuente : Je suis dessinateur freelance depuis 2000 et j'ai fait des débuts en 2003 sur le marché français pour Semic. J'ai par exemple fait des titres comme Kabur puis navigué sur différents titres, parfois en étant dessinateur et d'autres fois scénariste aussi. Ma carrière a vraiment débuté en 2008 quand j'ai été engagé par Marvel pour une série X-Men. Par la suite, j'ai dessiné un annual pour Ultimate Spider-Man, écrit par Brian Michael Bendis. Je suis devenu un temps le dessinateur régulier de la série. Par la suite, je me suis pas mal remis en questions. J'aime les comics mais pas uniquement ceux de super-héros. Je me suis dit qu'il serait peut être temps de revenir à la bande dessinée franco-belge et j'ai proposé pas mal de projets, mais ce n'était jamais le bon moment pour les lancer. Je restai donc disponible pour le marché américain et cela m'a évité d'être oubliés par les lecteurs.
Peux-tu nous décrire ton style ?
David Lafuente : Une question facile (rires) ! Je l'ai souvent dit mais mon style s'est construit sur plein d'influences venant d'artistes du monde entier. Il y a évidemment une part énorme d'inspirations venant des mangas et de l'animation japonaise mais aussi de séries classiques comme Tintin ou Astérix. J'étais fan de ses séries. Vol 714 pour Sydney ou Tintin au Tibet figurent parmi mes albums préférés encore aujourd'hui. J'ai aussi énormément d'influences provenant de la bande dessinée espagnole, principalement humoristique ou caricatural. Malgré le fait que j'apprécie les mangas, je n'ai pas bâti mon style en voyant celui de Joe Madureira par exemple. Le marché américain de l'extérieur a l'air d'être gigantesque mais il y a peu de choix avec d'un côté les super héros et de l'autres les titres Image Comics. Il existe énormément de styles très différents et les comics se nourrissent de styles venant du monde entier. Comme je ne travaille que sur des titres mainstream, je n'ai pas eu l'occasion de montrer une autre facette de mon dessin. En fait, j'aimerai faire ce que j'aime mais il faut suivre les exigences et les demandes du marché, s'y plier aussi.
Ultimate Spider-Man met en scène un personnage extrêmement populaire. Cela n'a t-il pas été compliqué à gérer ?
David Lafuente : Premièrement, j'étais nerveux. Il y a avait les deadlines du marché américain. Lorsque j'ai travaillé sur l'annual, qui était en trois parties, j'ai du être rapide mais c'était excitant et une belle opportunité de travailler avec Bendis. J'étais motivé et j'ai essayé de montrer aux lecteurs combien je me suis défoncé dessus. Je n'ai pas essayé de copier Mark Bagley et Stuart Immonen qui me précédaient. J'ai cherché ma propre voie. Je me suis bien amusé en travaillant par la suite sur la série. .
Tu as de nouveau travaillé avec Brian Michael Bendis sur X-Men, peux-tu nous dire comment se passer votre collaboration ?
David Lafuente : Brian est un de scénaristes qui perçoit les subtilités du marché. Il choisit parfaitement les artistes et en tire le meilleur. Sur X-Men, c'était très fun à faire et très similaire au soap opera qu'il imposait dans Ultimate Spider-Man. Ses scénarios sont très ouverts et permettent aux dessinateurs de trouver la liberté nécessaire pour donner leur meilleur. Je n'ai pas forcément beaucoup touché au récit d'origine mais c'était parce qu'il était très bien écrit.
Tu as travaillé sur tellement de titres de super héros. Es-tu fan du genre à l'origine ?
David Lafuente : Je n'achète jamais les livres des titres que je dois dessiner. Je suis certaines séries. J'ai acheté tous les Secret Wars car j'ai adoré ce qu'a fait Jonathan Hickman. Je ne vais pas en boutique chaque semaine mais une fois par mois. Mais parfois je fais des exceptions. Je suis un fan absolu du manga Wolfmund et s'il sort avant mon passage en librairie, je m'adapte. Je lis ce qui m'amuse et donc un peu de tout.
Quel personnage sur lequel tu n'as jamais travaillé, rêverais-tu de dessiner ?
David Lafuente : Chez DC Comics, ce serait Flash. J'adore la série, les runs de Mark Waid, de Geoff Johns. J'ai même aimé le récit de Francis Manapul et de Brian Buccellato. Ce n'est pas toujours parfait mais c'est vraiment fun. Chez Marvel, ce serait les Runaways. J'en parle depuis longtemps mais je n'ai pas eu la chance de le faire. J'aime les looks des personnages, leurs histoires et leurs personnalités.
En France, nous te voyons dernièrement sur A+A : Archer & Armstrong chez Valiant Comics. Connaissais-tu cet univers avant de t'y attaquer ?
David Lafuente : Je vais être honnête : je connaissais leur existence. J'ai du lire deux ou trois épisodes de Shadowman ou X-O Manowar sortis dans les années 90. Lorsque Valiant s'est relancé, je suis tombé sur quelques séries et j'ai vraiment trouvé ça étonnant. Je ne suivais pas intensément mais il y avait quelque chose d'intéressant à mes yeux.
Comment s'est passé du coup ton arrivée sur la série ?
David Lafuente : Avant de commencer, j'ai parlé avec Brian Reber. Je voulais travailler avec lui et je ne voyais pas sur quel titre. Il m'a donné le numéro de l'éditeur de Valiant et ça c'est fait très vite. Je venais de finir mon travail sur Batman Eternal et j'en étais aux prémices du titre que je développe pour Image. Ils m'ont proposé différents titres et j'ai même été exclusif pour eux par la suite.
Est-ce que travailler pour Valiant est différent de Marvel ou DC Comics ?
David Lafuente : Je ne dirai pas ça. Il y a des points communs, des deadlines etc. Valiant est une plus petite structure et l'on peut plus rapidement parler avec l'éditeur en chef et c'est plaisant au niveau relationnel. Ils fonctionnent de manière assez similaire au final.
Continues-tu à travailler pour Valiant ?
David Lafuente : Principalement sur des covers, de Bloodshot Salvation. Et aussi quelque chose sur Faith mais ce n'est pas encore sorti.
Peux-tu nous parler de ton projet avec Kieron Gillen, The Ludocrats, chez Image Comics ?
David Lafuente : Ce que je peux te dire, c'est que c'est ambitieux en terme d'histoire ou de dessin. J'ai tout créé et j'ai beaucoup d'espoir dans ce titre. C'est très long à se mettre en place.
Si tu avais le pouvoir de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre son génie, qui irais-tu visiter ?
David Lafuente : Ouah, sacrée question ! Si je devais choisir un artiste vivant… Je vais en choisir un mort et un vivant. Pour le vivant, ce serait Roy Crane. C'est un dessinateur de strips des années 30. Il est le créateur notamment de Wash Tubbs, Captain Easy et Buz Sawyer. Son style est incroyable, très raffiné et délicat. Il a largement influencé des artistes comme Bruce Timm… Son style est assez intemporel. Ses strips pourraient être créés de nos jours et publiés par Image, et ils recevraient d'excellentes critiques. Je ne connaissais pas son œuvre avant qu'un jour, Howard Chaykin me dise que quelque chose dans mon trait lui faisait penser à du Roy Crane. Alors, j'ai cherché sur le net, j'ai acheté Buz Sawyer et j'étais impressionné ! Pour l'auteur vivant, c'est clairement Posy Simmonds. Pour moi, c'est l'auteur la plus sous-cotée par l'industrie du comic book. C'est une superbe artiste capable de se servir de mettre tous les éléments de son art au service de la narration. Elle est capable de dessiner selon différents angles, écrit différents personnages et leur donne des typographies différents, elle utilise des palettes de couleurs limitées s'il s'agit d'un flashback pour revenir à une palette complète pour l'action principale… Franchement, elle est incroyable, et j'aimerais me transformer en petite souris pour observer la façon dont elle travaille.
Merci David !