Depuis sa plus tendre enfance, Jean-Luc Istin est fan de comics. Alors qu'on le connaît depuis des années maintenant comme dessinateur, scénariste et directeur de collection chez Soleil, il a enfin pu se lancer dans le registre qu'il chérit depuis si longtemps. World War Wolves se présente comme un récit post-apocalyptique où les loups garous sont responsables du déclin de l'Humanité. Avec un premier opus bigrement emballant, nous avons eu envie de converser à nouveau avec l'artiste pour qu'il nous parle de sa passion pour la bande dessinée américaine et les lycanthropes.
interview Comics
Jean-Luc Istin
Réalisée en lien avec les albums World War Wolves T1, Elfes – cycle Les elfes bleus, T6, Elfes – cycle Les elfes bleus, T1
Juste histoire d'introduire l'interview, peux-tu te représenter très brièvement ?
Jean-Luc Istin : Scénariste de Merlin, Les druides, Le sang du dragon, Elfes entre autres... Dessinateur de Les brumes d’Asceltis et éditeur chez Soleil de Zombies, Hero-Corp, Oracle, L’aéropostale etc...
Tu viens de sortir ton premier comic book : World War Wolves. Peux-tu le présenter aux lecteurs ?
Jean-Luc Istin : Une épidémie de Lycanthropie transforme le visage de l’Amérique puis du monde. Au milieu du chaos, dans la ville de Las Cruces, une ville fortifiée pour faire face à l’ennemi, la famille Marshall tente de s’adapter à leur nouvelle condition de vie. A Philadelphie, alors que la ville est coupée en deux, Un aveugle, joueur de blues, du nom de Jeremy Lester vient en aide à la petite Sarah dont le père est devenu un loup et dont la mère sombre dans la dépression. Et enfin, à New York, dans la prison de Ryker’s Island transformé en garde manger pour les loups de la ville, Malcom Spolding sert malgré lui la cause de l’ennemi grâce à son savoir-faire : il répare tout d’instinct. Le dessin est assuré par Kyko Duarte, dessinateur de Elfes. Un artiste fabuleux ! J’ai tendance à dire que c’est mon alter ego espagnol. Parfois je me demande si il n’est pas dans ma tête tellement sa retranscription graphique d’une page scénarisée correspond à l’idée initiale. Il comprend tout ce que j’ai envie de voir, et même parfois, il va plus loin. Travailler avec Kyko s’avère une activité détendue tellement je suis en confiance. Pour les niveaux de gris, c’est Ellem qui s’en occupe. Ellem c’est tout simplement Laurence Istin, ma femme. Elle a ici produit un travail d’orfèvre avec pour seul objectif de rendre hommage au travail de Kyko. Pour ça et d’autres raisons, World War Wolves est une œuvre familiale et amicale.
Pourquoi avoir choisi les loups garous ?
Jean-Luc Istin : Parce qu’il ne restait plus que ça ! Les vampires, je m’en suis déjà occupé (notamment à travers Aleph et en tant qu’éditeur avec Sherlock holmes et les vampires de londres de Cordurié, les Zombies aussi (avec Zombies d'Olivier Péru, La nuit des morts vivants à venir chez Vents d’ouest...), j’avais envie de me frotter à d’autres monstres sacrés. Et mine de rien, il restait des choses à dire sur ces créatures.
Quels sont tes références "lycanthropiques" ?
Jean-Luc Istin : Hurlements de Joe Dante. J’ai toujours été fasciné par ce film. Le loup garou de Londres aussi dont la transformation était un must à l’époque de sa sortie. Je me souviens avoir vu des extraits de cette mutation au journal télé. Quand ces films sont sortis, j’étais trop jeune pour pouvoir aller les voir au cinéma. Mais je me suis rattrapé en usant des VHS. Et c’est à peu près tout. Bien entendu, j’ai vu Silver Bullet, Peur bleue au cinéma autrefois. J’ai particulièrement apprécié le fait qu’un prêtre soit victime de lycanthropie avec ce que ça signifie pour sa foi. J’ai pris du plaisir aussi en découvrant le film de Neil Marshall, Dog Soldiers et je me suis amusé en voyant des loups garous foncés sur des vampires dans Underworld. Reste que, ce qui m’a influencé le plus, c’est Le Fléau de Stephen King et Stakeland le film de Jim Mickle. Pas de loups garous, mais une ambiance plus proche de ce que je souhaitais développer dans World War Wolves.
Les vampires arriveront-ils par la suite ?
Jean-Luc Istin : En tant que scénariste, non. Qu’on ne se trompe pas, j’adore les Vampires. M’y frotter à nouveau en tant que scénariste me plairait mais pour le moment, je n’ai pas le temps.
Le coup de faire vivre les humains entre les murs d'une forteresse, cela t'a été inspiré par L'attaque des titans ? ;)
Jean-Luc Istin : Inculte que je suis, je ne connais pas ce titre. Ça vient surtout d’un raisonnement logique, une idée tout bonnement médiévale. Un ennemi vient de l’extérieur, on se barricade.Et vu qu’un loup garou, ça saute haut, vaut mieux prévoir des murs en conséquence.
Le récit se concentre énormément sur la survie d'une famille. John Marshall est écrivain et ne sait rien faire hormis écrire. As-tu voulu imaginer tes réactions et celles de tes proches si pareil phénomène se produisait ?
Jean-Luc Istin : Absolument. Ceux qui me connaissent le savent : la famille Marshall c’est la mienne. J’ai juste changé quelques détails mais en gros, John, Loreen, Ed et Sam, ainsi que le bébé dans le ventre de Loreen, correspondent à ma propre famille. Je me suis demandé, comment en tant qu’auteur, dans un monde apocalyptique, je pourrai survivre et aider ma famille à survivre alors que je ne suis bon qu’à raconter des histoires ? Je ne sais pas me battre, je ne sais pas réparer quoi que ce soit, je ne sais pas me soigner ni prodiguer les premiers soins, en gros, je devrai logiquement faire parti des premiers à mourir. Mais il ne faut pas sous-estimé la volonté de survivre de chacun et la capacité à s’adapter à de nouvelles données. Je joue là dessus. World War Wolves est la BD où je mets le plus d’aspects personnels. Je voulais faire un récit plus authentiques, plus vrai. Ne pas tomber dans les travers classique à l’américaine avec des personnages qui sonnent faux comme on en voit parfois dans certains de leurs téléfilms. Il n’y a rien de pire qu’une dispute dans une série américaine. Ils se font des reproches et ils restent Zens. C’est de la dispute introvertie, ça. Alors qu’on sait bien que lorsqu’un couple s’engueule, parfois, même les pots de Nutella peuvent voler.
Pourras-tu tuer un des membres de ta propre famille (dans la BD j'entends bien lol) ? Ou est-ce une chose inenvisageable ?
Jean-Luc Istin : Oui, je pourrai éliminer un personnage de la famille Marshall. je ne dis pas que ce serait facile mais si le récit le nécessite, je fais passer le scénario et sa dramatique en premier. En fait, le plus difficile ça va être pour celui que j'élimine. Si Ed meurt, mon fils va faire la grimace. Mais bon, c'est le jeu.
La vision des loups garous dans World War Wolves est très différente des visions bestiales. Les lycanthropes sont intelligents, ont un chef, gèrent leur territoire. Pourquoi avoir choisi cet angle narratif ?
Jean-Luc Istin : Intelligent, oui, mais beaucoup moins qu’avant. Plus instinctifs.Les loups : Les loups garous de World War Wolves ont quelques particularités, des règles :
Le jour : Ils sont humains mais avec des sens et une force plutôt accrues
La nuit : ils se transforme en loup dès le coucher du soleil.
La nuit de pleine lune : ils deviennent des loups encore plus puissants et encore plus redoutables. Les nuits de pleine lune sont donc les plus dangereuses des nuits. Ils ne se contrôlent plus. Ils sont régis par un chef, c’est l’idée de la meute tout simplement. Je me contente de reprendre le cadre naturel du vrai loup. Si il n’y avait que des loups garous éparses sans idée de meute, ce serait vite ennuyeux. L’idée qu’il y ait une société de loup qui prend le pouvoir et chasse l’homme, c’est une idée plus passionnante à développer. Ce qui m’intéresse également, c’est la disparition de l’empathie pour l’homme. Imagine une seconde que tu soies contaminé mais pas ta femme. Tu te transformes et progressivement, celle que tu aimes devient celle que tu veux dévorer. Que s’est il passé dans ta tête ? Pourquoi ne peux tu plus rien ressentir pour elle ? Est-ce qu’avec une puissante volonté tu peux éviter d’en arriver à la dévorer ?
A quoi peut-on s'attendre par la suite ?
Jean-Luc Istin : A beaucoup de rebondissements, je vais aussi explorer la manière dont les Hamish réagissent à cette épidémie. On va découvrir qui est le loup qui sème la terreur à Las Cruces et notre bon Malcolm va trouver un moyen de s’échapper de Riker Island. A plus long terme, mon idée est simple : Il y a une solution à cette épidémie d’un nouveau genre. On peut sauver l’Amérique. Comment ? Ça, c’est un secret.
Jean-Luc Istin : Absolument ! Et j’adore ça. C’est beaucoup plus jouissif de travailler au format comics qu’au format franco-belge. Pourquoi ? C’est difficile à expliquer mais je trouve ce format plus fluide, et il permet à mon sens d’exprimer plus intensément les choses. On obtient plus de proximité avec le lecteur. Néanmoins, commercialement, ce format reste très difficile à imposer chez nos libraires. Les auteurs ont envie de se lancer, les éditeurs aussi mais si les chiffres de ventes ne suivent pas, on va vite tous retourner en traînant des pieds à notre format classique. Avec Hero corp (deuxième meilleure vente de comics en 2013), on a prouvé qu’on pouvait vendre du petit format, mais ce titre est particulier puisqu’il s’appuie sur une licence de téléfilms. Il faut désormais que le format French comics trouve son best seller, celui qui permettra au français de s’affranchir de son sacro-saint format Franco-belge (qui rappelons-le, ne tient pas bien dans la main lorsqu’on veut lire une BD dans le métro et qui est lourd pour ce qui est de le lire à la plage, bref, peu pratique). C’est pas gagné d’avance.
World War Wolves contient énormément de (faux) articles permettant d'enrichir l'univers. D'où t'es venu l'idée ?
Jean-Luc Istin : En lisant un roman qui jouait sur plusieurs points de vues, des blogs, des faux articles, je me suis dis que ça étofferait l’univers de W.W.W. si j’adaptais ça à la BD. Ça me permet aussi de mettre en stand-by ma vieille envie d’écrire un roman. Ma fille a écrit le journal de Sam. Olivier Péru a écrit une nouvelle de deux pages à la fin. Quelques copains ont dessiné des loups en bonus. Comme je te l’ai dit plus haut, World War Wolves c’est une histoire de famille et d’amis. On va forcément rapprocher World War Wolves de Walking Dead, ne serait-ce que pour le visuel réalisé en tonalités de gris. Que penses-tu de la série ? La suis-tu toujours ?
Jean-Luc Istin : Qu’on rapproche World War Wolves de Walking Dead, c’est de bonne guerre, si j’ose dire. Evidemment que j’ai pensé à Walking Dead en écrivant World War Wolves , malgré tout, même si le genre Survival post apo et les niveaux de gris sont le point commun entre Walking Dead et World War Wolves , la comparaison s’arrête là. World War Wolves définit une histoire différente et contrairement à Robert Kirkman [NDR : le scénariste de Walking Dead], je connais la fin de mon histoire. J’ai adoré Walking Dead jusqu’au tome 15 environ (parution française) Désormais, je continue à le lire mais je m’ennuie un peu, on tourne en rond et je n’y crois plus. Ceci étant, paradoxalement, j’attends avec impatience les nouveaux épisodes. On m’a dit que Kirkman allait faire un bon dans le temps. J’ai donc bon espoir qu’il nous surprenne à nouveau comme au bon vieux temps. En revanche, le téléfilm me plait beaucoup depuis la saison 3. Et la saison 4 est fabuleuse. Elle va là où j’aurai souhaité que la BD aille. Elle s’éloigne de Rick pour développer les autres personnages et c’est ce qui fait cruellement défaut à la BD. Un tome complet sans Rick, ça aurait eu du sens.
De quand date ta passion pour les comics ?
Jean-Luc Istin : Depuis toujours, ma première BD est un Batman, la seconde un Strange. Je me suis mis à la BD franco-belge plutôt tardivement.
Quels sont tes comics phares ? Tes auteurs phares ?
Jean-Luc Istin : Batman toujours. J’adore le tandem Scott Snyder et Greg Capullo de La cour des hiboux. Le scénar me séduit et le graphisme est extraordinaire. J’aime aussi American vampire de Snyder. Les X-Men. En ce moment, ce qui m’attire c’est le fait de ramener les anciens X-Men dans le présent pour régler la crise « Cyclope », le scénariste Brian Michael Bendis joue sur la nostalgie et ça fonctionne. Walking Dead, mine de rien, pour un fan de Romero, pouvoir lire du zombies régulièrement, c’est jouissif (même si je lui préfère le Zombies néchronologie tome 1 d'Olivier Péru et Nicolas Pétrimaux qui est juste un modèle de perfection). Mes auteurs phares dans le désordre : Frank Miller pour Batman Dark Knight Returns et Ronin. John Byrne et Chris Claremont pour le « futur antérieur » des X-Men (à ce propos, j’avoue que l’adaptation à l’écran des sentinelles m’a moyennement séduit. J’aurais tellement aimé les voir avec un look plus ou moins proche de la BD...) et aussi le Phénix noir. J’aime aussi la division Alpha de Byrne et son approche de Namor sur quelques épisodes m’a vraiment séduit. Ensuite Jim Lee pour ses X-Men. Les frère Kubert ont toute mon attention. Mais depuis un petit moment, mon dessinateur préféré, sans conteste, c’est Olivier Coipel. Ce type est un virtuose ! Quel talent ! House of M, et son Thor, je suis fan !
Quelles séries suis-tu avec une grande fidélité ?
Jean-Luc Istin : Batman et les X-Men. Je les achète, je les mets de côté et je les lis durant l’été.
Tu as co-dirigé la collection Soleil US Comics. Que devient cette collection ?
Jean-Luc Istin : Pas du tout. C’est Jean Waquet le directeur et créateur de cette collection. Il m’a juste permis de développer Judge Dredd dans cette collection.
Désolé pour la question sur Soleil US Comics, j'étais persuadé que tu avais une implication assez importante dedans...
Jean-Luc Istin : Faut pas être désolé. Au contraire, la question tombe bien , elle permet d'éclaircir les choses.
Du coup, sais-tu si la suite de Judge Dredd sortira t'elle un jour ?
Jean-Luc Istin : Hélas non. Les lecteurs ont boudé un peu trop les titres. C’est dommage d’autant que ce n’est pas la première fois que des éditeurs tentent d’implanter Dredd en France. A croire qu’il est maudit ! Il suffisait juste que 1000 de mes amis Facebook l’achètent pour qu’on continue la série. Comme quoi FB, ça sert à plein de choses mais peut-être pas à vendre.
Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur (comics cette fois) pour en comprendre son génie ou son art, qui irais-tu visiter ?
Jean-Luc Istin : Gabriele Dell'Otto. Je ne l'ai pas cité plus haut mais j'aurai pu. Je peux rester des heures à regarder ses pages et ses illustrations. Je ne sais pas peindre. Du coup, je lui pique son savoir faire d'artiste.
Merci encore Jean-Luc !
Retrouvez également notre première interview de Jean-Luc Istin en cliquant ici !