En 2015, Koré Yamazaki a créé un véritable phénomène avec la série The Ancient Magus Bride, essentiellement bercée par le folklore celte tout en imposant son propre imaginaire, et dont la parution se continue encore à ce jour. Pour son retour en France 10 ans plus tard avec son nouveau titre Ghost & Witch !, il était temps de regarder dans le rétro et faire le bilan avec elle de la décennie écoulée.
interview Manga
Koré Yamazaki
Bonjour. The Ancient Magus Bride est un véritable phénomène qui ne faiblit pas. Selon vous, qu’est-ce qui en fait sa force ?
Je pense qu’une des forces est que The Ancient Magus Bride s’inspire de contes et légendes d’Angleterre et d’Irlande qui sont transmis de génération en génération. Donc il y a la force de ces récits, déjà. Une autre des forces aussi, c’est peut-être du fait qu’il y a beaucoup de personnages, en fait chaque lecteur peut avoir son personnage favori et être touché par telle situation rencontrée par tel personnage. Il y en a tellement que, forcément, chaque lecteur va trouver des choses qui lui parlent. Et ça me fait vraiment plaisir d’être lue par de nombreux lecteurs, pas seulement au Japon mais du monde entier.
Maintenant, même si c’est encore un peu flou, j’ai une idée de la fin. Mais j’ai encore beaucoup de choses que j’ai envie de raconter, donc j’aimerais pouvoir le faire avant de terminer mon récit.
A partir du tome 10, l’histoire effectue un virage et se situe dans un environnement scolaire : pourquoi ce changement ? L’amour de Harry Potter ?
Je pensais moins à Harry Potter quand j’ai eu cette idée d’école de sorciers qu’à Circle of magic qui est un autre récit pour enfants. Après, l’école c’est un endroit où on va rencontrer toutes sortes de gens et qui va permettre ainsi aux personnages d’évoluer. J’ai l’impression que l’école c’est un endroit où on est vraiment forcé de rencontrer plein de gens qu’on n’a pas forcément envie et ça va nous permettre de changer.
Au fil de la lecture, on découvre que les camarades de Chisé cachent eux aussi de lourds secrets à cause de leurs particularités, notamment Philomela. Vous aimez les personnages torturés ?
C’est vrai que j’aime les personnages torturés. Ce qui est important pour moi, c’est que les lecteurs puissent voir de l’extérieur cette souffrance, ça leur permet d’observer les choses avec objectivité. C’est aussi pour ça que je dessine ce type de personnages.
C’est peut-être une question à laquelle mon éditeur serait plus à même de répondre. Mais c’est vrai qu’à mesure que l’univers de The Ancient Magus Bride a grandi et s’est approfondi, on s’est dit qu’on pouvait raconter d’autres histoires dans divers pays, liées à l’intrigue principale. Et donc en fait c’est mon éditeur qui m’a apporté les divers projets et ces deux-là ont particulièrement retenu mon attention. Et ensuite j’ai fait quelques observations, du genre « oui ici on est proche de mon univers » ou « là peut-être qu’on est dans quelque chose de différent donc il faudrait un peu réajuster », etc.
Quel est votre rôle dans ces projets : avez-vous donné des directives ou laissé carte blanche aux mangakas ?
Bien sûr, j’ai laissé les auteurs libres, mais après il fallait évidemment garder une cohérence avec l’univers que j’ai conçu. Mais c’est toujours difficile de faire exactement pareil, de rester vraiment le même univers. Donc à chaque fois les auteurs me montraient ce qu’ils avaient fait, et ou bien je disais « oui c’est bon allez-y, go » ou bien « ah oui là c’est un petit peu différent, j’ai l’impression qu’on n’a pas eu la même compréhension de l’univers » et je donnais toutes sortes d’explications, d’ajouts, sur le concept, pour réajuster et les laisser continuer.
Et pour les autres adaptations (en roman, en animé, en pièce de théâtre...) ?
La plupart du temps j’ai vraiment un rôle de supervision. Après, c’est vrai que le théâtre c’est une forme d’expression complètement différente. Moi, ce que je connais, ce sont des formes d’expression liées au manga et au roman. En ce qui concerne le théâtre, j’estime que je ne connais pas cette forme d’expression donc je laisse vraiment les personnes développer comme ils le veulent le récit à la manière du théâtre.
A l’origine, c’est une histoire complètement différente que j’avais imaginée. Mais en fait une fois que j’ai conçu cette histoire, je me suis rendu compte qu’elle n’était pas si intéressante que cela. Pendant un an, on a échangé avec mon éditeur, en se disant « ah non là ce n’est toujours pas ça, là ça ne va pas », etc. On a vraiment tordu la chose dans tous les sens pour arriver tant bien que mal à obtenir un premier chapitre. Une des difficultés, c’est que c’est le même univers que The Ancient Magus Bride et je voulais à tout prix éviter de faire la même chose. Donc ça a été difficile.
Tout comme The Ancient Magus Bride, cette série s’inspire du folklore irlandais et celte de manière générale. Frau Faust s’inspirait de légendes allemandes. Les contes européens semblent vous fasciner.
A la base, quand j’étais enfant, j’aimais beaucoup les récits du folklore japonais, toutes les légendes japonaises. Et puis à un moment donné, il y a beaucoup d’histoires pour enfants venues de l’étranger qui ont été importées et qui étaient beaucoup publiées au Japon. J’étais très intriguée par ce qu’il y avait à l’origine de ces contes donc j’ai commencé à faire des recherches et c’est comme ça que, petit à petit, je suis allée vers l’Occident.
Est-ce que vous effectuez des recherches pour créer vos personnages et votre univers ?
Oui, je fais vraiment beaucoup de recherches. Ce qui m’aide beaucoup - que ce soit vrai ou non c’est une autre histoire - c’est qu’il y a énormément de choses qu’on trouve sur Internet. Par exemple, des gens qui ont des journaux en ligne et où ils vont dire « dans ma région, on raconte telle histoire ». Il y a toutes sortes de choses qu’on peut trouver, que ce soit en japonais ou en anglais, qui vont venir nourrir ma réflexion. Après, au Japon, il y a énormément de traductions de ces récits étrangers, aussi beaucoup d’ouvrages de chercheurs sur ces sujets-là et donc, même si ce sont des histoires qui ont tendance à disparaître avec le temps, elles sont énormément accessibles en japonais et c’est vraiment une aide énorme pour moi pour concevoir mes histoires.
Depuis l’enfance j’aime beaucoup les mangas, la littérature et tout ce qui est contes d’autrefois. Tout ça de manière globale est venu m’inspirer, je pense. Après, j’aime beaucoup la nature, le fait d’y vivre et aussi tous les sons liés à la nature viennent m’inspirer. Cela peut aussi être le vent, « est-ce que c’est un vent froid, un vent chaud ? », ou la lumière « est-ce que c’est une lumière éblouissante ou au contraire sombre ? ». Tout ça, ce sont aussi des éléments qui vont venir inspirer mes histoires. Mes parents tenaient un magasin là où je vivais quand j’étais petite. Il y avait toutes sortes d’adultes qui venaient tous les jours, et ils pensaient que les enfants de toute façon ne comprennent pas, donc ils racontaient toutes sortes de choses devant moi. Ils racontaient leurs problèmes, etc. Et du coup je me disais « ah oui donc en fait les adultes, ce sont des êtres qui se prennent la tête pour tel type de choses, qui rencontrent tels types de problèmes » et ça aussi je pense que ça a beaucoup nourri mes mangas. Tous ces adultes ils racontaient vraiment toutes sortes de choses, notamment leurs problèmes familiaux, « ah oui mon fils il est ceci, ma fille elle est cela, mon mari... ». Et aussi j’ai grandi dans un environnement où la nature est très hostile. C’est arrivé, par exemple, que des gens disent « mon mari n’est pas rentré de la dernière tempête, il a disparu ».
Si vous deviez aborder un autre thème ou un autre style de mangas, qu’est-ce qui vous tenterait ?
C’est difficile comme question. J’adore la fantasy et j’ai envie de continuer à faire des mangas de ce genre. J’aime aussi beaucoup l’Histoire, donc j’aimerais aussi faire un manga qui parle de faits historiques.
Est-ce qu’il y a une question qu’on ne vous a jamais posé et à laquelle vous voudriez répondre ? Ou un message pour les lecteurs ?
Je n’ai pas de choses que je tiens absolument à dire, mais oui un message peut-être. C’est vrai que, au début, j’ai commencé mes mangas en m’adressant à un lectorat japonais. Et puis il y a eu la publication de ma série en France, et grâce à cela dans toutes sortes de pays mes mangas ont ensuite été traduits et publiés. Et ça, ça me fait vraiment plaisir. Du coup, maintenant, lorsque je conçois mes histoires, je garde vraiment en tête le fait que des lecteurs de divers pays lisent mes histoires et j’ai vraiment beaucoup de reconnaissance envers eux.
Merci !
Dessin inédit
The ancient magus bride ©Kore Yamazaki / MAG Garden