En marge de Morgana (saga de SF prévue en 10 tomes), l’italien Mario Alberti met son talent de dessinateur au service de Redhand, scénarisé par l’américain Kurt Busiek (également éditée chez les Humanos). A mi-chemin entre le comics et la BD européenne, Redhand est une série très prometteuse, à découvrir d'urgence selon les bédiens. Ces derniers ont donc profité du passage d'Alberti au festival d’Angoulême 2006 pour en savoir plus : voici la retranscription (en français) d’une interview (en anglais) d’un artiste italien… (comprendo ?)
interview Bande dessinée
Mario Alberti
Bonjour Mario Alberti !
Mario Alberti : Enchanté !
Entrons direct dans le vif du sujet : quelles sont tes influences pour dessiner Redhand ?
Mario Alberti : J’essaie de prendre autant de distance que possible par rapport aux autres séries de fantasy parce que j’aimerais avant tout pouvoir proposer quelque chose de vraiment différent dans mon dessin. Je pioche donc mes idées surtout dans des photos, de la documentation, j’ai été influencé par les guerriers massaï pour le premier tome. Pour le second tome, j’ai aussi fait par exemple beaucoup de recherches sur les ports et la manière dont on construit les bateaux, à travers la photo. Mais jamais aucun comics, d’aucune manière. Je veux vraiment me débarrasser de ce qui pourrait ressembler au « style Conan », car Redhand évolue sur le même créneau. Redhand n’a strictement rien à voir avec Conan, notamment grâce à des décors et des designs de costumes radicalement différents.
Peux-tu nous raconter comment le dessinateur italien que tu es s’est mis à travailler avec un scénariste de comics américain ?
Mario Alberti : C’est tout simplement une proposition qui est venue des Humanoïdes Associés. J’avais déjà travaillé sur Morgana et ils cherchaient un artiste qui convenait aux scénarii de Kurt. C’est étrange car je ne suis pas du tout un lecteur de comics à la base. Etant gamin, je lisais pas mal Spiderman, mais j’ai totalement laissé de côté ces lectures en grandissant. Aujourd’hui, j’aime juste ce que fait Mignola… Mais je ne connais que très peu d’entre eux, à l’exception de Trvais Charest. De toutes façons, j’ai de grandes difficultés à retenir les noms en général.
Toi habitant Trieste et Kurt Busiek aux USA, comment travailles tu avec lui ?
Mario Alberti : Je ne l’ai jamais rencontré, hélas ! Lui n’est pas un grand voyageur, et les Humanos ne m’ont jamais payé le voyage jusque là-bas… jusqu’à présent. Nous travaillons sur Redhand à travers des emails quotidiens : dès que j’ai terminé une page, je la scanne et lui envoie un jpeg et lui me fait un retour. Nous entretenons ainsi d’excellents rapports, mais d’un point de vue uniquement professionnel. Je n’ai même aucune idée de ce à quoi il peut ressembler ! Néanmoins, il faudra bien un jour que ça arrive. Ce jour là, ça devrait être assez marrant.
Redhand est-il également publié aux USA ?
Mario Alberti : Non malheureusement. Les humanos avaient un accord avec DC pour distribuer leurs comics aux USA, mais le deal a expiré. Nous n’avons donc pas de retour public sur l’appréciation de Redhand aux USA. Je pense qu’il faudra attendre au moins la sortie du troisième épisode en France pour qu’on se pose la question. Actuellement, Redhand est publié en France, en Italie et en Espagne.
Combien d’albums est-il prévu à la saga Redhand ?
Mario Alberti : Lorsque j’ai commencé cette aventure avec Kurt, je lui ai posé la question. Il m’a répondu peut-être 10… peut-être plus… ou moins… En fait, il n’en sait rien lui-même. Personnellement, je me suis engagé pour en réaliser au moins 3. Et puis on verra…
De Morgana ou de Redhand, tes deux séries publiées en France, laquelle connaît le meilleur succès ?
Mario Alberti : En fait, Morgana a mieux démarré que Redhand. Mais étant donné que Morgana est une série plus ancienne, possédant déjà 3 volumes, il nous faut probablement encore attendre.
En combien de tomes la série Morgana est-elle prévue ?
Mario Alberti : Morgana fera au total 10 volumes. Il y aura en tout 3 trilogies et un dixième album final pour couronner le tout. Nous avons déjà pas mal avancé sur la seconde trilogie. Je pense que l’année prochaine, je viendrai à Angoulême pour le 4e épisode. Mais j’espère que la sortie de l’album sera plus précoce que cela !
Sur la planète BD, nous trouvons que Redhand est un juste milieu entre le style de BD européen et le style comics américains. Est-ce le but recherché ?
Mario Alberti : Oui, je pense que l’idée était exactement cela : joindre les méthodes américaines à la tradition artistique franco-belge. Je suis content car je pense qu’effectivement le résultat fonctionne très bien. La manière d’écrire de Kurt est typique de ce qui se fait sur le marché américain et heureusement ma manière de le traduire sur le papier est radicalement différente de ce qu’il s’y publie. Je pense qu’au départ, la finalité de cette collaboration était de réaliser quelque chose qui puisse fonctionner des deux côtés de l’Atlantique.
Quels sont tes autres projets, en marge de Morgana ou de Redhand ?
Mario Alberti : Je n’en ai aucun autre pour le moment car je n’ai pas le temps !! Bien sûr, en tant que dessinateur, j’ai toujours des cartons remplis de divers projets, à développer éventuellement dans le futur… J’ai aussi et surtout de grosses envies pour travailler avec des scénaristes français, mais il est encore trop tôt pour en parler sérieusement. Mon emploi du temps est surtout totalement rempli pour au moins une année entière. Ce que j’aimerai le plus, c’est sûr, c’est réaliser une série en tant qu’auteur complet. Mais professionnellement parlant, je m’entends vraiment bien avec le scénariste de Morgana (NDLR : l'italien Luca Enoch). Nous sommes tellement sur la même longueur d’onde, que nous avons encore d’autres projets de collaboration future, après la série. Etant donné que Morgana est déjà prévu en 10 tomes, ça risque de prendre un certain temps…
Que penses-tu des travaux de tes confrères italiens qui publient en France ?
Mario Alberti : Il y a tellement d’italiens qui travaillent en France en ce moment… je ne les connais pas tous. Beaucoup d’entre eux viennent en France pour réaliser des choses différentes de ce qu’ils font en Italie. Ceux qui viennent de chez Disney, peuvent se lancer dans des séries plus réalistes, par exemple… C’est d’ailleurs la raison principale qui m’a fait venir ici. Le public italien est plus habitué à avoir des séries interminables qui s’étalent sur de nombreux épisodes, un peu comme les feuilletons télévisés. Or moi, je voulais vraiment réaliser ma propre série, du début jusqu’à la fin. Cela est difficilement possible dans ces conditions en Italie.
Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?
Mario Alberti : Aouch ! Question difficile, car cela demanderait de sélectionner le titre le plus représentatif du genre humain !
Pas con… Voici la question posée différemment : si tu devais être isolé sur une île déserte, quelle serait la série que tu emporterais avec toi ?
Mario Alberti : Ce que je préfère par-dessus tout, est ce que fait Miyazaki. C’est ce que j’ai lu de meilleur, et de loin. Si je devais emporter une œuvre en particulier sur mon île, ce serait Nausicaa, bien sûr. Cela aborde magnifiquement bien les sentiments humains, il y a une intrigue puissante… Il n’y a aucune autre BD qui arrive selon moi à ce degré de perfection.
Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui aurais-tu élu domicile ?
Mario Alberti : Je suis relativement heureux d’être moi-même. Cela ne signifie pas que j’ai une tendance à l’autosatisfaction sur mon travail. Il me reste toujours à apprendre et je constate sans cesse des erreurs sur ce que j’ai dessiné. Mais je ne voudrais pas être quelqu’un d’autre. En revanche, j’ai beaucoup appris le dessin en copiant d’autres artistes. Il y a donc bien sûr des dessinateurs italiens que je considère comme des modèles. Giorgio Cavazzano, par exemple, qui a été l’un des plus grands dessinateurs italiens de chez Disney. Etant gamin, j’appréciais aussi terriblement Magnus, le surnom de Roberto Raviola, qui a animé pendant des années Alan Ford, une fameuse série qui a été publiée dans les années 70 et 80 en Italie. J’étais aussi fondu d’Andrea Pazienza, également très populaire dans les années 80 en Italie, mais qui n’a jamais percé en France parce qu’il s’inspirait beaucoup de la société italienne du moment. Bien sûr, j’ai aussi beaucoup lu Moebius… Et à une époque, j’ai aussi été incroyablement fan de Valerian.
Grazie mille Mario !