interview Comics

Mike McMahon

©Delirium édition 2017

Lorsque l'on est fan de la revue britannique 2000AD et de la série Judge Dredd, le nom de Mike McMahon ne vous laisse pas indifférent. Cet artiste a fait parti de ceux qui ont participé à l'essort de la bande dessinée anglo-saxonne avec notamment des prestations remarquables sur des œuvres comme Judge Dredd, Slaine, ABC Warriors ou même sur des récits d'anticipation comme The Last American. Son style atypique rend son travail reconnaissable entre mille. Alors que ces derniers mois, l'actualité autour de Mike McMahon n'a jamais été aussi présente en France, le dessinateur a profité de l'invitation de son éditeur, Délirium, pour se rendre à la Comic Con Paris, lieu où nous avons pu converser tranquillement avec cette légende du comics made in U.K..
Cette interview a été traduite par Alain Delaplace.

Réalisée en lien avec l'album Judge Dredd - Affaires Classées T2
Lieu de l'interview : Comic Con Paris

interview menée
par
4 novembre 2017

Mike McMahon


Pouvez-vous vous présenter et nous dire comment vous vous êtes retrouvé à travailler dans l'industrie des comics ?
Mike McMahon : Je me suis intéressé au dessin et j'ai commencé à m'y mettre quand j'avais 4 ans. Ma mère voulait que je sache lire avant d'aller à l'école et elle m'a appris à lire en utilisant des comics. Je pense qu'elle espérait me voir devenir médecin, avocat ou un truc du genre mais voilà, j'ai fini par devenir dessinateur. J'ai donc continué de dessiner, sans arrêt, et, vers mes 7-8 ans, je me suis dit que je voulais illustrer des comics. Je lisais beaucoup de comics britanniques – qui étaient tous en noir et blanc – ainsi que quelques comics américains... Puis j'ai rejoint une école de dessin, chose qui m'a peu servi en tant qu'artiste mais, bon, ça a l'avantage de te donner le temps de t'améliorer. Je suis un autodidacte, comme bon nombre de dessinateurs de comics...

Je ne savais pas.
Mike McMahon : Oui, oui. Mais c'est le cas de la plupart des artistes comics. On travaille d'arrache-pied, dans son coin, pendant que le reste de la famille est dans le salon, à regarder la télé. Bref. En Grande-Bretagne, on avait ces revues de strips, avec deux illustrations par page, 64 pages par numéro. Et, un jour, j'ai envoyé un strip à une de ces revues et l'éditeur m'a répondu en me disant « Ce n'est pas encore au point » mais il m'a communiqué les coordonnées d'un agent artistique, que je suis allé voir tout de suite et, un an plus tard – je n'avais toujours pas réussi à décrocher de job – j'ai fait un autre strip – un crayonné, simplement – que l'agent a montré à Pat Mills et du jour au lendemain, je me suis retrouvé à illustrer Judge Dredd. Un gros coup de chance, en somme.

Quelles étaient tes premières influences artistiques ?
Mike McMahon : Quand j'étais tout petit, j'étais exposé au travail de nombreux artistes européens, des italiens et des espagnols, principalement. On retrouvait leur travail dans les revues que j'ai mentionnées mais aussi dans les comics britanniques. Pas beaucoup d'artistes américains, cela dit. Avec ma mentalité de gosse, à l'époque, je ne trouvais pas les aventures de Superman très intéressantes, d'un point de vue graphique, étant donné qu'elles n'étaient pas en couleurs, même si j'aimais bien les histoires. Je ne m'y connaissais pas vraiment en artistes européens non plus, à vrai dire, car leurs noms n'étaient quasiment jamais mentionnés. Mais l'artiste qui m'a le plus influencé s'appelait Gino D'Antonio, un artiste italien très prolifique et qui figurait régulièrement dans les revues britanniques. Il faisait un strip très connu qui s'intitulait Storia del West. Il y avait aussi un grand nombre d'illustrateurs britanniques comme Ron Embleton qui dessinait des strips en couleurs dans les revues britanniques. Il était spécialisé dans les illustrations historiques. J'ai un livre de lui qui traite du Mur d'Adrien. Tu connais ? C'est ce mur, construit par les romains, au nord de l'Angleterre. C'est comme un périple effectué le long du mur et illustré. Mais voilà, j'ai été influencé par tous ces artistes mais pas vraiment par un en particulier.

Mike McMahon


Tu as un style unique, comment le décrirais-tu ?
Mike McMahon : Je ne peux pas vraiment le décrire et ceci pour la raison suivante : quand je dessine un strip, je décide d'abord d'une certaine manière dont je vais le dessiner puis, au fur et à mesure, je vais m'habituer à cette manière de faire pour finir par devenir automatique, si tu vois ce que je veux dire. C'est pas de la paresse, c'est juste que ça devient une tâche parmi d'autres « Oh, tiens, il faut faire ça, maintenant ». Ça va un moment mais il faut que je passe à autre chose et, une fois que je passe à autre chose, j'ai besoin de procéder d'une nouvelle manière, je ne peux pas m'y prendre de la même manière. J'ai besoin de me renouveler sur chaque nouvelle histoire, même s’il y a forcément des choses qui ont été apprises et que l'on retrouve sur les histoires suivantes. Les choses évoluent, voilà.

Comme beaucoup d'artistes britanniques, tu as illustré Judge Dredd. Que penses-tu, aujourd'hui, de ton travail sur cette série ?
Mike McMahon : Ah... Je dois dire que je ne suis pas très impressionné par mon travail. Si je n'avais pas illustré Judge Dredd et si, au lieu de ça, j'avais travaillé sur d'autres strips de 2000AD, je ne suis pas sûr que j'aurais persévéré dans ce métier. J'ai eu la chance d'illustrer les aventures d'un personnage extrêmement populaire.

Tu ne penses pas avoir apporté ta propre pierre à cette popularité ?
Mike McMahon : Peut-être, mais d'un autre côté, vu qu'on parle là de mon travail, je ne trouve pas ça très réussi. Je faisais de mon mieux, mais ma chance était de travailler sur un personnage populaire et, donc, d'avoir pu continuer mon travail et continuer de m'améliorer, jusqu'à aujourd'hui où je crois qu'on peut dire que je suis à l'abri [rire]. C'est ce que je pense en tous cas. Être un artiste, c'est aussi être un peu fou, c'est être obsédé par son travail et par la qualité de celui-ci.

L'an dernier, au Royaume-Uni et aujourd'hui en France, ont été publiés des épisodes jusqu'alors censurés de Judge Dredd. Peux-tu nous en dire un mot ?
Mike McMahon : Oui. Il s'agit au départ de trois épisodes de la saga Cursed Earth, dont un que j'ai illustré, intitulé The Burger Wars et qui parlait d'une guerre de gangs confrontant les adeptes de McDonald à ceux de Burger King. On y voyait Ronald McDonald exécuter des serveurs parce que les tables n'étaient pas convenablement nettoyées, ce genre de choses. Je crois que ce qui s'est passé, c'est que l'éditeur a choisi de ne pas les republier par la suite, de crainte qu'une action en justice soit intentée. Dans une des histoires, on voyait aussi le Géant Vert, celui des conserves de légumes – ce n'est pas moi qui l'ai illustrée, je crois que c'était Brian Bolland – et la compagnie en question avait réagi et je crois que c'est sur cette base que les trois épisodes n'avaient pas été réimprimés. Mais je dois bien dire que quand ils sont sortis, à l'époque, je les avais bien aimés ! C'était dingue ! Et quel boulot ! Ces illustrations montrant la foule, quand Dredd est capturé par les Barons du Burger ! [rires]

Mike McMahon


C'est bon de pouvoir découvrir ces épisodes aujourd'hui !
Mike McMahon : Oui, ça parait un peu idiot aujourd'hui mais, à l'époque, plein de choses ont été censurées. 20 ans après, on se demande pourquoi telle ou telle œuvre, telle chanson a bien pu être censurée.

Un autre titre que l'on a récemment découvert, en France, c'est The Last American qui vient de sortir ici. Est-ce que tu referais cette histoire à l'identique aujourd'hui et, sinon, qu'est-ce que tu changerais ?
Mike McMahon : Je pense que je la referais telle quelle. La boucle est bouclée et on en est revenu au même point. À l'époque de sa publication, on était à la fin de la Guerre Froide – on ne le savait pas encore, pour de vrai – et je trouve que les choses n'étaient pas si différentes de ce qu'elles sont aujourd'hui. On a traversé une agréable période durant laquelle on ne s'inquiétait pas trop de se faire exploser, mais je crois que ce serait la même histoire, aujourd'hui.

Si tu avais la possibilité de visiter le crâne d'un artiste célèbre, passé ou présent, afin de comprendre son art, ses techniques ou simplement sa vision du monde, qui choisirais-tu et pourquoi ?
Mike McMahon : Un artiste dont l'œuvre m'a toujours fasciné : Gustave Doré. Combien de temps a-t-il bien pu vivre pour abattre autant de travail ? Il y a tellement de choses et toujours de grande qualité ! On y trouve une telle imagination... J'aimerais vraiment savoir s'il n'était jamais fatigué. Moi, j'aurais beau travailler 6 jours et 6 nuits d'affilée, je n'arriverais pas à faire quelque chose d'aussi réussi. Je me pose cette question au sujet de bon nombre d'artistes : comment faisaient-ils être toujours aussi incisifs ? Moi, j'ai tendance à divaguer, de temps à autre, j'ai besoin de me recentrer, de refaire les choses. Je suppose que, eux aussi, ils devaient bien balancer des choses à la corbeille, mais la fraîcheur de l'ensemble me laisse penser qu'ils vont droit au but, d'emblée.

Y'a-t-il une histoire préférée, parmi toutes celles que tu as pu illustrer au cours de ta carrière ?
Mike McMahon : Oui, j'aime beaucoup le personnage de Slaìne. Je me suis toujours intéressé à l'histoire des celtes, leur mythologie. Aujourd'hui encore, je lis des ouvrages sur le sujet alors ça a été formidable de pouvoir travailler au sein de cet univers.

Mike McMahon


A-t-il été simple d'illustrer autant d'univers pourtant très différents, entre Dredd, Slaìne ou The Last American ?
Mike McMahon : Les univers que je crée ne sont jamais réalistes, mais ils sont crédibles. L'ensemble est toujours cohérent et je crois que c'est ce qui compte. Faire un univers réaliste, ça demande un travail dingue tandis que j'utilise pas mal de raccourcis et d'astuces. Imagine quand il me faillait dessiner un arbre, pour Slaìne ! [rire] Je ne passais pas trop de temps à essayer de rendre cet arbre réaliste.

De la même manière, y'a-t-il un univers ou un genre sur lequel tu aurais aimé travailler ?
Mike McMahon : Non, parce qu'avant de me professionnaliser, je me disais que j'aurais aimé faire ci ou ça mais, en réalité, une fois qu'on commence à travailler en tant que pro, on voit arriver sur son bureau des opportunités qu'on n'aurait jamais osé imaginer. Au bout d'un moment, tu finis un truc et tu te dis « Bon, c'est quoi, la suite ? » et je ne sais pas ce qui va me tomber entre les mains, mais je sais que je vais prendre mon pied à le faire. Je crois que si je souhaitais faire quelque chose en particulier, alors j'aurais déjà une idée de la manière dont je voudrais le dessiner mais que le vrai challenge réside dans le fait d'être surpris et de se demander comment on va bien pouvoir faire.

Merci Mike !