interview Bande dessinée

Olivier Kéraval

©Locus Solus édition 2019

Après une première vie en deux tomes aux éditions Sixto, La Jegado re-parait en octobre 2019 sous la houlettes des brtonnes éditions Locus Solus. L'intégrale ainsi présentée se décline désormais en version bichromique noir-rouge. Nous avons souhaité creuser le sujet en compagnie du scénariste, Olivier Kéraval.

Réalisée en lien avec l'album La Jégado
Lieu de l'interview : le cyber-espace

interview menée
par
17 octobre 2019

La Jégado, que tu as scénarisé et Luc Monnerais dessiné, vient tout juste de sortir en version intégrale chez Locus Solus. Quels sont les retours ?
Olivier Kéraval :Oui, les premiers retours sont positifs. Cette nouvelle version intégrale en bichromie est intéressante. Nombreux sont ceux qui saluent le travail de recherche historique et graphique.

L’œuvre est initialement sortie en 2017 chez Sixto, en deux tomes en noir et blanc. Pourquoi avoir choisi de recoloriser la BD en bichromie (rouge/noir) ? Vous n’étiez pas satisfait du rendu initial ?
Olivier Kéraval : Ce choix est avant tout celui de l’éditeur qui cherchait à se démarquer de la première version. Un travail de colorisation classique était impossible du fait de la technique employée par Monnerais. La première version était très bien mais cette bichromie apporte une profondeur de champ intéressante et une mise en avant d’éléments narratifs essentiels.

Hélène Jegado est une « figure » dans l’univers des serial-killers français. Comment en êtes-vous venu à travailler sur elle ? Était-ce un choix de votre part ?
Olivier Kéraval : Oui, c’est un choix de ma part. J’en avais entendu parler, comme beaucoup de Bretons. Je m’y suis intéressé de plus près et ce que j’ai découvert m’a fasciné. Avec cette possibilité de travailler sur les documents d’époque conservés intégralement aux Archives départementales d’Ille-Vilaine. Ce qui a également débouché sur la réalisation d’une expo visible gratuitement jusqu’au 10 Janvier aux Archives et à Saint-Malo jusqu’au 5 novembre.

Copyright Olivier Kéraval


Comment s’est passée ta rencontre avec l’illustrateur Luc Monnerais ?
Olivier Kéraval : Très bien. J’ai rapidement fait part à Monnerais de mon intention d’écrire un scénario original sur la Jégado. Il s’est rapidement passionné pour le sujet et l’époque historique. Il a entrepris beaucoup de recherches iconographiques notamment pour s’imprégner de l’histoire et du contexte.

Quelle a été ta façon de travailler avec Luc ? Comment s’est effectuée la répartition des rôles dans le processus de création ?
Olivier Kéraval : Je lui ai apporté le sujet, j’ai ensuite entamé mon travail de documentation et de recherche historique puis j’ai écrit le scénario qu’il a mis en dessin au fur et à mesure.

Est-ce que Luc avait son mot à dire sur ton scénario ? Est-ce que tu pouvais le guider dans ses illustrations afin de retranscrire tes idées ?
Olivier Kéraval : Très régulièrement, nous nous voyions pour échanger, partager et éventuellement apporter des modifications. Je suis assez directif, mais il a toute liberté si ça peut servir le récit ! Notre objectif est commun. Proposer une reconstitution historique crédible.

On sent un travail de recherche historique phénoménal dans La Jégado. Comment t-y es-tu pris exactement ? Qu’est-ce que tu as gardé pour écrire ton histoire, qu’est-ce que tu as rejeté ?
Olivier Kéraval : Comme je le disais plus haut, j’ai plongé dans les Archives et les recherches documentaires pour comprendre cette histoire criminelle, la personnalité d’Hélène Jégado et extraire une matière scénaristique. Les documents sont très nombreux et complexes à déchiffrer parfois. Travailler sur des sources authentiques signifie s’immerger totalement pour le scénariste comme pour l’illustrateur. Nous travaillons avec un très grand respect de l’Histoire même si nous y apportons notre touche de fiction.

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Avec un tel travail de recherche et de détail, on a vite fait de se faire submerger par son sujet. Quelle marge de manœuvre t’es-tu laissée pour sortir du cadre historique du récit ? As-tu pu prendre du recul durant le processus de création de cette BD ?
Olivier Kéraval : Une fois que j’ai trouvé mon ou mes fils rouges, je m’y tiens. Il faut être très organisé et ne pas s’écarter du chemin sous peine de se perdre en route. Chaque scénariste, avec la même matière, traitera le sujet différemment. Le recul est ce qu’il y a de plus difficile à obtenir pour pouvoir traiter le sujet globalement. Car La Jégado n’est pas uniquement une BD sur une affaire criminelle remarquable… L’affaire criminelle est une porte d’entrée pour pénétrer dans une époque historique mouvementée, riche et complexe. Le vrai défi est de faire cohabiter l’ensemble et que le récit fonctionne !

Le contexte historique de l’époque avec le coup d’état de Napoléon III est la trame de fond de cette œuvre, laissant parfois même Hélène Jegado au second plan, notamment dans la seconde partie de la BD. Au final, c’est un parti pris très audacieux mais qui s’est avéré payant... C’était un choix conscient dès le début du scénario ou est-ce que ça s’est fait naturellement au fil du processus d’écriture ?
Olivier Kéraval : C’est un choix conscient. Certes Hélène Jégado focalise l’attention par ses actes monstrueux et hors normes. Mais en étudiant l’époque et les personnalités engagées qui gravitent autour de l’affaire criminelle j’ai découvert qu’ils pouvaient être tout aussi passionnants. Il me paraît impossible, quand on traite un récit aussi dense, de partir à l’aveugle en espérant que tout collera à la fin. C’est clairement prendre le risque de s’égarer en route.

La plaidoirie de Maître Magloire Dorange contre la peine de mort durant le procès d’Hélène Jegado est un des éléments centraux de l’histoire, notamment en ce qui concerne son engagement pour la République. Comment as-tu travaillé sur son personnage ?
Olivier Kéraval : Comme pour l’ensemble des personnages (à part ceux qui sont totalement inventés), j’ai travaillé à partir d’une base de documents d’archives. Cet homme est absolument remarquable et sa plaidoirie démontre son courage et sa détermination. Il suffit parfois d’un document qui apporte un élément narratif qui devient essentiel et nourrit l’ensemble. Pour le cas de Dorange, précisément, c’est son courrier au président de la cour de Rennes demandant le renvoi du procès à cause du coup d’état de Louis Napoléon Bonaparte une semaine avant le début du procès, le 2 décembre 1851. Surtout quand j’ai découvert qu’un futur témoin au procès et ami de la famille Dorange, Baudoin un député Républicain, était mort sur les barricades… L’ouverture sur l’Histoire de la France était devenue évidente. Dorange n’aura de cesse de politiser le débat. Quand on sait que l’abolition de la peine de mort était un des sujets cruciaux des Républicains…

Selon toi, qui était vraiment Hélène Jegado ?
Olivier Kéraval : Une femme de la campagne bretonne qui a grandi sans maman, placée très jeune par son père dans un presbytère. Elle a eu une enfance très dure mais ça n’explique pas ses actes monstrueux. Aujourd’hui on dit d’elle qu’elle était une tueuse en série. C’est le cas, elle a empoisonné ou tenté d’empoisonner plus de soixante personnes. Enfants, femmes, hommes, pauvres ou riches… Peu lui importait. On sait qu’elle était voleuse, alcoolique, odieuse avec la plupart… On peut imaginer qu’elle se croyait pourvu d’un droit de vie et de mort sur ceux qui croisaient sa route. Inspirée selon certains par le folklore breton et l’Ankou en particulier. Malheureusement les études cliniques psychiatriques n’existaient pas à l’époque. Si on a fait un moulage de sa tête après l’exécution c’est pour étudier son morphotype, en espérant comprendre sa monomanie… Elle a surtout emporté dans la tombe ses mystères ! Le sujet reste très ouvert…

La fin de La Jegado laisse entrevoir la possibilité d’une suite. Est-ce que c’est quelque chose de prévu ou du moins en cours de réflexion ? Luc Monnerais sera-t-il de la partie ?
Olivier Kéraval : Non, j’ai volontairement laissé une ouverture. Les personnages continuent d’exister, quelque part, sans nous…

Question classique chez Planète BD : si tu avais l’opportunité de rentrer dans la tête de quelqu’un, ce serait qui ? Et Pourquoi ?
Olivier Kéraval : Question difficile. Le choix est vaste. Hitler, disons. Pourquoi ? Comprendre.

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