Pocket Chocolate, ce n’est pas le nom de la petite faiblesse qui nous perdra, non, mais celui d’un auteur chinois prolifique. A travers ses œuvres transpire la description d’une jeunesse paumée, qui se cherche une place dans la société. Pocket Chocolate se cherche-t-il lui aussi ? D’ailleurs, comment est-il devenu auteur de bande dessinée ? Rencontre avec un artiste au travail émouvant...
interview Manga
Pocket Chocolate
Réalisée en lien avec les albums Une nuit calme et paisible, Crystal sky of yesterday T2, Crystal sky of yesterday T1, That moment maybe
Quel est votre parcours et comment êtes-vous devenu auteur de bande dessinée ?
Pocket Chocolate : En Chine, quand j’étais plus petit, il n’y avait pas autant de personnes qui regardaient des bandes dessinées ou des mangas que ce qu’on a aujourd’hui. En Chine, on avait le lianhuanhua, c’est de la bande dessinée traditionnelle chinoise, cela se rapproche plus des histoires illustrées. Il y avait aussi la télévision avec les animés qui commençaient un peu à apparaître. C’était beaucoup plus fluide, cela s’enchaînait mieux que dans le lianhuanhua qui est assez statique. Au collège, c’est là que j’ai pu commencer à acheter des mangas japonais : Dragon ball, Ranma ½... Cela m’a beaucoup plu, comme à beaucoup d’autres chinois. Quand j’étais en vacances ou quand j’avais du temps libre, je dessinais. Et dans les mangas qui paraissait, il y avait des concours de dessin et je proposais mes petites histoires pour les magazines. Mais j’ai rarement été sélectionné dans ces compétitions, je n’étais pas encore au niveau. Après avoir eu l’équivalent du baccalauréat, je suis allée à Shenzhen, à côté de Hong-Kong, où il y avait les premières entreprises de manhua de Chine. Cela se rapprochait de la BD hongkongaise, c’est un style assez particulier. J’ai vraiment commencé au niveau le plus bas, je dessinais quelques éléments de décors, ce genre de choses. Au fur et à mesure, quand mon niveau a augmenté, j’ai monté mon propre studio et j’ai publié mes premières œuvres. Cela s’est donc fait de manière progressive, étape par étape.
Extrait du lianhuanhua Lin Zexu édité par Renmei en 1963
Pocket Chocolate : Masakazu Katsura (I’’s , D.N.A.², Video girl Aï, Zetman) et Macross avec Lynn Minmay. Ces bandes dessinées ont un point commun : elles ont de très jolies filles. Comme j’étais un garçon en pleine adolescence, cela m’a fait une forte impression. Je voulais être capable de dessiner de jolies filles comme cela. Il y a aussi Akira Toriyama (Dragon ball), Rumiko Takahashi (Ranma 1/2), et beaucoup de réalisateurs de dessins animés, comme Hayao Miyazaki. Ils ont réellement leur personnalité qui est retranscrite dans leurs animés. Et je voulais être aussi bon que cela.
Vous avez travaillé dans le jeu vidéo : qu’est-ce que cela vous a apporté dans votre travail ?
Pocket Chocolate : C’était il y a plus de 10 ans, vers 2001 je crois. Je ne l’ai pas fait par choix, mais car sinon je ne pouvais plus gagner ma vie. A l’époque, il y avait beaucoup de magazines de mangas qui ne marchaient plus et qui ont mis la clé sous la porte. Ce travail dans le jeu vidéo m’a permis d’apprendre comment dessiner sur ordinateur. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à dessiner sur Photoshop, et à faire des choses pour Internet. Cela m’a beaucoup aidé puisque maintenant je fais presque tout en digital.
Quelle part de votre travail réalisez-vous encore sur papier et quelle partie est faite à la palette graphique ?
Pocket Chocolate : Mes éditeurs chinois aiment bien qu’on leur envoie les œuvres par mail, ce genre de choses, donc je travaille le plus souvent sur ordinateur. Le papier, c’est plus pour faire des esquisses. Cela m’arrive quand je fais une pause, quand je veux noter mes idées, pour m’entraîner un petit peu, ou pour des illustrations couleurs.
Une nuit calme et paisible est le nom de votre nouveau projet commun avec Kotoji, financé à presque 200% sur Ulule. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce titre et le choix du financement participatif ?
Pocket Chocolate : C’est Pierre Sery, le directeur des éditions Kotoji, qui a proposé cette idée, en m’expliquant ce qu’est le financement participatif. Il m’a demandé ce que j’en pensais et j’ai dit « OK on peut essayer ». On a fait ce projet en plusieurs parties, et donc le livre est divisé en 4. Il y a 2 histoires courtes. La première s’appelle Une nuit calme et paisible et qui donne son nom à l’ouvrage, c’est une histoire d’amour entre deux lycéennes. La deuxième s’appelle I killed myself, elle est beaucoup plus sombre et tourne autour de la question de l’identité d’une personne jeune, dans la société shanghaienne plus précisément. La troisième partie, ce sont des esquisses, et la dernière partie, des esquisses en couleurs.
Vos histoires sont très sentimentales, mais on note à chaque fois la description d’une jeunesse chinoise un peu perdue et qui a du mal à trouver sa place dans le monde adulte. C’est un thème qui vous est cher ?
Pocket Chocolate : Oui, j’y pense beaucoup. C’est une période difficile, où l’on se pose beaucoup de questions, sur la vie, sur son avenir, sur l’amour... C’est pareil pour tout le monde, mais en Chine en particulier le passage à l’âge adulte est assez dur, il y a énormément de pression de la société, de la famille... Cela me fait beaucoup réfléchir, ce genre de thèmes...
Vous seriez en train de reprendre Le mont du sud (qui fut publié chez feu l’éditeur français de bande dessinée chinoise Xiao Pan) : où en est ce projet ?
Pocket Chocolate : J’en ai fait 70 pages, mais là il y a des changements dans mon entreprise. En ce moment, nous préparons l’adaptation en dessin animé de Crystal sky of yesterday, en long-métrage, et on me sollicite beaucoup. Pour l’instant, j’ai donc laissé Le mont du sud de côté mais j’ai l’intention de continuer plus tard car c’est quelque chose de très personnel. Il y a beaucoup d’images de la campagne chinoise, j’aime beaucoup ça donc j’ai envie de le retravailler. Je veux faire quelque chose avec beaucoup de couleurs.
Savez-vous déjà quels sont vos prochains projets ? Et vers quoi voudriez-vous vous orienter à l’avenir, quel type de récit par exemple ?
Pocket Chocolate : Pour le moment, je suis focalisé sur l’adaptation de Crystal sky of yesterday, cela me prend beaucoup de temps. Parce que je pense que je dessine trop lentement et que je risque de me disperser s’il y a trop de projets en même temps. Une fois que ça sera terminé, je pourrai me mettre à d’autres projets. Mais comme je suis dans une entreprise, je dois aussi gérer les personnes avec qui je travaille : il y a de jeunes diplômés qui arrivent et qui ne sont pas forcément à très haut niveau, donc je dois les chaperonner, les aider.
Si on vous donnait le pouvoir magique de voir dans l’esprit d’un autre artiste, vivant ou mort, dessinateur ou autre, afin de le comprendre, savoir ce qu’il pensait, pouvoir discuter avec lui, apprendre des nouvelles techniques... qui choisiriez-vous et pour quelles raisons ?
Pocket Chocolate : C’est un peu compliqué comme contexte. Moi-même ! En fait, j’aimerais rentrer dans l’esprit de mon moi d’avant, essayer de me parler en petite voix pour me dire un petit peu ce que je devrais faire, me donner des conseils, me faire profiter de mon expérience actuelle. Par exemple, j’ai bientôt 40 ans et je me suis rendu compte que faire des choses parfaitement, ça prend du temps. Ce n’est pas parce que je pense à quelque chose que cela va être fait tout de suite correctement. Réaliser ce que j’ai en tête peut prendre plusieurs années et ce n’est pas moi tout seul qui fait cela. Donc j’ai besoin de mon équipe, et éventuellement de Kotoji.
Merci !
Merci aux éditions Kotoji ainsi qu’à Baptiste Gaussen pour la traduction.
Sauf si précisé autre chose sous l'image, toutes les illustrations de l'article sont © Pocket Chocolate / KOTOJI Editions