S’étant fait doucement une réputation en France depuis 2007 avec ses excellentes séries Kiômaru puis Nés pour cogner, avant d’exploser carrément avec le titre Ascension un peu partout dans le monde, le mangaka Shin-Ichi Sakamoto était en visite en France lors du Salon du Livre de Paris pour le lancement de son nouveau titre, Innocent, qui narre la vie du plus célèbre bourreau français, Charles-Henri Sanson, qui exécuta presque 3000 personnes durant sa carrière (dont Louis XVI et des révolutionnaires comme Danton et Robespierre). C’est avec beaucoup d’enthousiasme que nous sommes allés à la rencontre de cet auteur aux récits passionnés et passionnants...
interview Manga
Shin'Ichi Sakamoto
Réalisée en lien avec les albums Innocent T1, Ascension T1, Nés pour cogner T1, Kiômaru T1
Dans Ascension, tout commence par une rencontre. Quelle a été la vôtre, qui a décidé de votre voie ?
Shin’Ichi Sakamoto : Ce qui m’a donné envie de devenir mangaka, c’est la rencontre avec un manga. Plus précisément avec un magazine de prépublication qui était par terre au square où je jouais quand j’étais enfant. Je l’ai ouvert au hasard et je suis tombé sur un dessin qui m’a impressionné de Hokuto no Ken (Ken le survivant) et l’impact a tout fait.
Shin’Ichi Sakamoto : Je les considère et je les aime un peu comme mes enfants mais, aujourd’hui quand je les regarde, je les vois plutôt comme des passages qui m’ont amené à devenir ce que je suis aujourd’hui, qui m’ont aidé à grandir en tant que mangaka.
Ensuite, il y a eu Ascension, votre plus longue série à ce jour, récompensée par plusieurs prix et tirée du roman best-seller L’Homme solitaire de Jiro Nitta. Pourquoi avoir choisi d’adapter ce roman et à quel point le manga est-il proche du roman ?
Shin’Ichi Sakamoto : Ce qui m’a le plus plu dans ce roman, c’est le fait qu’il se focalise sur un être solitaire. C’est cela qui m’a principalement intéressé. J’ai gardé les points principaux de l’œuvre mais pour tout le reste c’est ma conception. Mon expérience, ma vision des choses... Il y a plein d’éléments qui me sont propres que j’ai voulu intégrer dans cette histoire.
Pourquoi l’aventure d’Ascension s’est-elle terminée en solo ?
Shin’Ichi Sakamoto : On a l’impression que le héros termine dans la solitude, mais il faut comprendre qu’il n’est pas seul, il a toujours sa femme et son enfant. Ils sont toujours quelque part dans son cœur. Chacun a son travail et peut vivre de son côté, mais au final, c’est parce que le héros sait qu’il y a sa femme qui a confiance et qui croit en lui qu’il peut partir escalader une montagne tout seul et sans appréhension.
A l’image du héros, vous avez également terminé le manga sans le scénariste qui vous accompagnait au départ...
Shin’Ichi Sakamoto : Ce sont les circonstances du monde du manga... Au départ c’était une aide précieuse et c’était enrichissant, mais au fur et à mesure que l’histoire avançait, je ressentais le besoin d’écrire ma propre vision des choses. Il y a un moment où l’on ne pouvait plus avancer ensemble et où on a donc suivi chacun notre voie.
Ascension est techniquement très précis. Connaissiez-vous déjà le monde de l’alpinisme avant, et à quel point avez-vous dû vous documenter ?
Shin’Ichi Sakamoto : Je n’avais aucune expérience en matière d’alpinisme, et c’est pour cela que je me suis fait aider par un professionnel pour tout ce qui était technique, pour que chaque détail soit précis et qu’il n’y ait pas d’erreur, parce que je voulais le plus de réalisme possible.
Une question anecdotique : dans le tome 6 d’Ascension, le héros Mori sort de son abri après une tempête de neige et découvre le paysage immaculé sous un soleil radieux. On voit alors en parallèle un orchestre symphonique en train de jouer. Quelle musique aviez-vous en tête en dessinant cela ?
Shin’Ichi Sakamoto : Je n’avais aucune musique en tête en dessinant cela. Je me suis dit qu’au contraire, au moment où les lecteurs verraient ça, ils auraient peut-être, eux, une musique en tête qui irait bien avec la scène.
Avez-vous participé aux bonus présents à la fin de chaque tome relié, qui présentent à chaque fois une figure célèbre différente de l’alpinisme ?
Shin’Ichi Sakamoto : De temps en temps, j’étais présent pour certaines interviews, mais pour les articles, c’est la rédaction du magazine de prépublication qui s’en est occupée.
Shin’Ichi Sakamoto : Je vais peut-être vous décevoir, mais pour chaque personnage principal j’ai essayé à chaque fois de sortir ce qu’il y avait en moi à ce moment-là, ce que j’étais moi, sans mentir, sans essayer de créer quelque chose.
Justement, le héros d’Ascension est très solitaire. Est-ce aussi un trait de votre personnalité, et n’aviez-vous pas peur que les lecteurs n’accrochent pas au personnage ?
Shin’Ichi Sakamoto : Il y a forcément un peu de moi dans ce personnage. Pour ce qui est de savoir si les lecteurs allaient avoir un peu peur de ce genre de personnage, non je ne pense pas. Déjà, je ne m’étais pas posé la question. Et surtout, je crois au contraire que les humains sont tous les mêmes, et s’il y a certaines personnes qui, en lisant ce manga, se retrouvent dans ce personnage, ils vont au contraire accepter cela, trouver ça bien car ils se projetteront en lui.
Quels messages vouliez-vous faire passer avec Ascension ?
Shin’Ichi Sakamoto : Ce que je voulais transmettre, c’est que dans la vie, il y a beaucoup de difficultés, cela peut être des choses de la vie de tous les jours, il y a toujours des épreuves à passer, un mur à franchir. Si vous donnez tout de vous-même, sans mentir, et que vous essayez de passer ce mur, vous trouverez toujours une voie, au-delà.
Votre nouveau manga, Innocent , est librement inspiré d’un roman de Masakazu Adachi qui raconte la vie du bourreau Charles-Henri Sanson. A quel point le manga est-il fidèle ou non à l’œuvre d’origine ?
Shin’Ichi Sakamoto : Dans le livre qui raconte la vie de Sanson, il y avait beaucoup de blancs, de zones inconnues de tous et qu’il a fallu remplir. Je me suis dit que le mieux pour faire passer des messages à des gens d’aujourd’hui, c’était de remplir ces zones de vide en fonction de mon vécu, avec des choses que je voudrais transmettre. C’est donc ma propre interprétation qui se trouve dans ces trous.
Vous avez déclaré un jour que « plus que la façon de vivre en tant qu’homme, c’est la façon de vivre en être humain qui vous intéresse ». En gardant cela en tête, que comptiez-vous explorer dans votre dernier manga Innocent, une histoire à propos d’un bourreau qui ôte la vie ?
Shin’Ichi Sakamoto : Ce que je voulais principalement montrer à travers ce personnage, ce sont ses faiblesses. Il a le destin et l’obligation de tuer des gens, et certes, il s’en accommode car il n’a pas le choix, mais il a ses propres faiblesses. Je voulais montrer que malgré tout, c’était un homme comme les autres, et même s’il vivait il y a plusieurs siècles, il y a beaucoup de personnes qui pourraient compatir en regardant ce destin un peu sombre et ce poids qui pesait sur ses épaules. C’était vraiment cet aspect que je voulais transmettre, sa faiblesse, le fait qu’il soit un humain comme les autres, pas un super-héros.
Comment arrivez-vous à transmettre toutes ces valeurs à travers votre dessin ?
Shin’Ichi Sakamoto : Je crois qu’il est beaucoup plus facile de transmettre quelque chose, de l’émotion ou quoi que ce soit, quand on dessine avec le cœur, et pas en essayant de réfléchir, de se poser des questions. J’enregistre ce que je vis dans la vie de tous les jours, ce qui permet de guider ma main et de dessiner. Pour savoir comment il faut faire pour transmettre telle ou telle chose, cela vient de moi, du fond de mon cœur, de mes expériences.
Si vous aviez le pouvoir de visiter l’esprit d'un autre artiste pour par exemple comprendre son génie ou bien lui piquer des techniques de dessin ou autre, qui choisiriez-vous et pourquoi ?
Shin’Ichi Sakamoto : Je n’utiliserais pas ce pouvoir. Je suis moi et je n’ai besoin de rien d’autre, je n’ai pas envie d’aller prendre quelque chose chez un autre. J’espère que ce n’est pas une mauvaise réponse (rire).
Merci !
Merci à Fabien Nabhan pour la traduction et aux éditions Delcourt, notamment à Sabrina Gaudou
Interview co-réalisée avec Antonin Lacomme pour Breeks
Merci à Faustine LILLAZ pour certaines questions
Toutes les illustrations de l'article sont ©Shin’Ichi Sakamoto