interview Comics

Steve Rude

©Urban Comics édition 2014

Publié durant des années et ce, depuis le début des années 80, chez différents éditeurs indépendants américains, Nexus est une série qui compte pas moins d'une centaine d'épisodes orchestrés par le scénariste Mike Baron et mis en images par Steve Rude. Quasiment inédit en France, le titre a installé le dessinateur comme l'un des artistes les plus doués de sa génération. Son trait fin, ses encrages subtils et autres techniques visuelles impressionnent toujours autant, que ce soit sur ses prestations passées ou bien sur ses récents travaux. Relativement rare, Steve Rude publie de temps à autre des sagas chez Marvel ou DC Comics, dont dernièrement un one-shot sur Before Watchmen. Alors que celui qui se fait surnommer le « dude » avait programmé une petite tournée européenne passant notamment par la France et la librairie Diable Blanc comics, nous avons été quérir auprès de lui quelques réponses à nos nombreuses interrogations...

Réalisée en lien avec les albums Before Watchmen T2, Nexus T1, Superman & Batman
Lieu de l'interview : Librairie Diable Blanc Comics

interview menée
par
1 août 2014

Steve Rude Wonder woman Peux-tu te présenter ?
Steve Rude : Je m'appelle Steve Rude, j'ai 57 ans et je suis né à Madison, Wisconsin, aux Etats Unis. J'ai commencé à dessiner à la maternelle, je me souviens que je dessinais beaucoup de dinosaures. De là, je suis passé aux cartoons, comme Peanuts / Charlie Brown. Au lycée, j'ai redécouvert les comics et j'ai réalisé que je voulais dessiner comme Jack Kirby. Je me suis alors entraîné à dessiner en me basant sur ses dessins, histoire de voir si je pouvais réussir à dessiner aussi bien que lui. Voilà comment tout a commencé.

Quelles ont été tes influences ? Frank Frazetta en a-t-il fait parti ?
Steve Rude : J'ai surtout été influencé par l'œuvre de Jack Kirby. Dans les années 70, à l'époque où sont sortis les films de Bruce Lee, j'aimais vraiment les Master of Kung Fu de Paul Gulacy. Il m'a montré comment raconter une histoire d'une manière très cinématique et cela m'a beaucoup influencé. Ensuite, tout le monde a été influencé par Frank Frazetta, il était notre maître à tous.

Comment décrirais-tu ton style ?
Steve Rude : Mon style est issu des artistes avec lesquels j'ai grandi. Cela n'a rien à voir avec les tendances actuelles, comme le style Image Comics. J'ai appris à dessiner à partir de l'œuvre d'artistes classiques, des illustrateurs remontant à l'époque de la seconde guerre mondiale. C'est eux qui m'ont enseigné mon métier, ils avaient un style d'illustration très clair, très classique. J'ai appris à dessiner à travers ce que les artistes des années 40 faisaient.

Steve Rude NEXUS Tu as commencé ta carrière avec Nexus, une série qui a perduré pendant de longues années. Que penses-tu de cette série, aujourd'hui ?
Steve Rude : Nexus est, au sein de mon œuvre, une des choses qui m'est des plus chères. C'est une série très importante à mes yeux. Il y a de cela peu de temps, Mike Baron, l'auteur de Nexus, et moi-même avons conclu Nexus dans Dark Horse Presents. On y retournera peut-être un jour mais, pour l'instant, c'est terminé.

Peut-on dire que Nexus aura été l'œuvre de ta vie ?
Steve Rude : Oui

Est-ce que ce n'est pas un trop lourd fardeau à porter ?
Steve Rude : Non, j'ai aimé chaque instant que j'ai passé à travailler sur Nexus. C'était une œuvre qui m'était tellement personnelle que je ne me suis jamais lassé de travailler dessus. J'aurais d'ailleurs pu continuer Nexus pendant encore dix ans, si je l'avais voulu, mais, pour l'instant, je pense vouloir me concentrer sur The Moth.

Comment s'est passé la collaboration avec Mike Baron sur Nexus ? Est-il vrai que vous vous êtes rencontrés à l'école ?
Steve Rude : J'ai fait la connaissance de Mike Baron quand j'avais à peu près 21 ans. Je vivais dans une Y.M.C.A., dans le Wisconsin. Quelqu'un m'a alors dit qu'il fallait que je rencontre ce type qui voulait écrire mais ne savait pas du tout dessiner. Il était donc à la recherche d'un dessinateur pour mettre ses idées en images. C'est comme ça que notre collaboration a commencé.

Steve Rude NEXUS Et comment ça s'est déroulé sur Nexus ?
Steve Rude : On n'a pas commencé par Nexus, on a travaillé ensemble pendant à peu près un an. C'est Mike qui a eu l'idée de Nexus car il y avait, dans la ville où nous résidions alors, des gens qui souhaitaient publier des comic-books. Ces gens nous ont dit, à Mike et à moi-même, « Revenez nous voir avec vos idées de comic-books de super-héros ». C'est là que Mike a eu l'idée de Nexus.

Le concept de départ ou bien l'intégralité de l'histoire ?
Steve Rude : La totalité de l'intrigue de Nexus vient de Mike Baron.

Tu as apporté des détails au récit ?
Steve Rude : Oui, Mike m'apportait les scripts, que j'illustrais, mais il venait aussi me voir quand il avait une idée et, tous les deux, on travaillait alors sur l'histoire. Je tenais vraiment à la qualité de l'histoire et, si c'était effectivement bon, alors je le dessinais.

Sais-tu si Nexus sortira un jour dans son intégralité, en France ?
Steve Rude : Je le pense.

Quelque chose a été signé ?
Steve Rude : Je n'en suis pas sûr... Pour ce genre de questions, j'ai l'habitude d'appeler Mike Richardson, chez Dark Horse, pour lui demander « Mike, est-ce que tu veux le faire ? » et il me répondrait oui ou non.

Après Nexus, tu as travaillé pour Marvel et DC Comics. Que penses-tu de leur façon de gérer leurs personnages ? As-tu un ou des personnages préférés parmi ceux sur lesquels tu as travaillé ?
Steve Rude : Pour ce qui est de Marvel, j'ai aimé travailler sur chaque personnage. Ce sont les personnages avec lesquels j'ai grandi. J'étais un jeune garçon qui lisait les comics de Jack Kirby donc Captain America, Spider-Man, Thor, Hulk et Superman étaient des comics très important pour moi, à l'époque.

En avais-tu des favoris ?
Steve Rude : Non, j'aimais tout ce que dessinais Jack Kirby.

Steve Rude NEXUS Tu as fait une excellente histoire, avec Kurt Busiek, sur Thor. Dans cette histoire, tu as rendu hommage à Jack Kirby, était-ce ton intention première ?
Steve Rude : Oui. Chaque fois que l'on me demande d'illustrer un des personnages de Jack Kirby, cela ne me parait réel que si le dessin ressemble à du Jack Kirby. Le nom de Kirby me trotte alors en permanence dans la tête, quand je dessine ces personnages. Si je dessine Superman, je pense alors aux dessins animés des Fleischer Studios ou à Joe Shuster. Si je dessine Batman, je pense alors aux illustrations originales de Bob Kane ou de tout illustrateurs travaillant avec lui à l'époque. Bob Kane était quelqu'un de très, très drôle.

As-tu trouvé difficile de t'adapter à son style ?
Steve Rude : Non, c'était au contraire très amusant et j'ai aimé le faire.

Pour DC Comics, tu as fait une très bonne histoire sur la série World's Finest [NDR : ressorti en France chez Urban Comics sous le nom Superman & Batman] . Est-ce que les éditeurs ou les auteurs t'ont imposé des contraintes, et si oui, lesquelles ?
Steve Rude : Les auteurs, non. On s'est très bien entendus, avec Dave Gibbons. Certains éditeurs ont regardé mon Superman... mon Batman, en fait, et ont dit « On ne dirait pas Batman ». Mon Batman s'inspirait des illustrations de Bob Kane, avec les oreilles comme ça (il mime, NDR). Je me disais qu'ils étaient dingues et je le pense encore. Ce Batman était parfaitement légitime, à mes yeux.

As-tu échangé avec Dave Gibbons concernant le projet ?
Steve Rude : Pas beaucoup. Dave s'est assis, a réfléchi et a sorti ses trois histoires. Je trouvais que le troisième numéro était superflu, qu'il fallait s'arrêter au deuxième. Mais il avait cette nouvelle idée qui nécessitait un troisième volet alors j'ai suivi. Mais si jamais j'avais des interrogations, je décrochais le téléphone et je le sortais du lit - il vivait en Angleterre et le décalage était énorme.

Tu as aussi illustré Dollar Bill, dans Before Watchmen. Que penses-tu de Before Watchmen ?
Steve Rude : Je pense que c'était une chose importante à faire. Je sais qu'un des créateurs désapprouvait le projet mais les gens de DC Comics auraient été fous de ne pas le faire. Ces personnages sont très populaires et beaucoup d'artistes étaient capables d'écrire de très bonnes histoires pour eux et de nombreux lecteurs voulaient voir ces personnages revenir. Dans le cas de Dollar Bill, ils souhaitaient un artiste capable de dessiner à la manière « old school », et ils ont donc fait appel à mes services.


steve Rude Before Watchmen Dollar Bill


Tu es devenu éditeur au sein de Rude Dude Productions, qu'en as tu retenu ?
Steve Rude : Que je n'ai aucune envie de le refaire. Je n'ai pas la vision d'esprit d'un éditeur. Il y avait trop de choses qui me déplaisaient. Si je voyais que l'imprimerie ne restituait pas correctement les couleurs de l'ouvrage, ça m'agaçait profondément. J'ai commencé à ne plus m'amuser alors j'ai tout arrêté pour retourner à ce que je savais faire, à savoir dessiner et superviser des projets. Mais les petits détails de la publication... Non, je n'ai pas aimé faire ça.

Quels sont tes prochains projets ?
Steve Rude : Mon prochain projet est la chose la plus importante que j'ai à faire et c'est une version en comic-strips de The Moth. Et ça ressemble aux strips de Prince Valiant qui paraissaient dans les journaux du dimanche. Je vais les mettre en ligne et je vais faire ça pendant un long moment, j'ai très envie d'explorer l'univers de The Moth.

Steve Rude the moth As-tu d'autres projets, avec des éditeurs ?
Steve Rude : Non, pas pour l'instant. Si on m'appelle, j'écouterai et je prendrai le temps d'y réfléchir, mais je ne suis pas comme beaucoup d'artistes dans le sens où j'aime être à l'initiative. Dès que je pense à ce que je veux faire, à ce que je considère comme important pour ma vie, je le fais.

Y'a-t-il des choses que tu ne peux pas dessiner ?
Steve Rude : Si jamais je me trouve face à quelque chose que je ne sais pas dessiner, j'effectue des recherches et j'apprends à le dessiner. Quand on est un dessinateur de comic-books, on doit apprendre comment tout dessiner. Par exemple, dans un des numéros de The Moth, il y avait plein de motos, des Harley Davidson. Je n'y connaissais rien. Il a fallu que je me débrouille et j'ai fait beaucoup de recherches. Dans Nexus, une des histoires se déroulait dans la mer et il m'a fallu apprendre comment dessiner des navires anciens. Je n'y connaissais rien et j'ai du faire des recherches sur la manière d'illustrer ces vieux vaisseaux pirates. C'était avec Badger, quand il se trouve dans le monde-sphère. On n'a pas d'excuse, en tant que dessinateur. Si le script te demande de dessiner quelque chose, tu dois être capable de le faire.

As-tu un comic-book préféré ?
Steve Rude : Non, pas de comic-book particulier. J'aime l'ensemble de l'oeuvre de Jack Kirby, cela dit. Il m'a diverti pendant vingt ans et j'ai le sentiment que je dois l'ensemble de ma carrière à Jack Kirby, pour m'avoir tant donné.

Que penses-tu de l'industrie des comics, aujourd'hui ?
Steve Rude : Je pense que cette industrie, aujourd'hui, s'appuie trop sur le réalisme. On ne s'amuse quasiment plus dans les comics, comparé à avant. On essaie de rapprocher les comics de la vraie vie en les rendant sombres, sérieux. Tout cela a retiré le fun qu'on pouvait avoir à lire des comics. Quand je lisais des comic-books, je le faisais pour être diverti, pour m'évader dans un monde magique et, maintenant, ce n'est plus le cas.

Steve Rude NEXUS Penses-tu que c'est ce que veulent les lecteurs ?
Steve Rude : Je ne sais pas si c'est ce que veulent les lecteurs mais en tout cas, c'est comme ça que sont produits les comics aujourd’hui. Donc peut-être que oui, peut-être que c'est ce qu'ils veulent, mais les gens de mon âge, on ne lit plus les comics pour cette raison, parce qu'ils sont si sombres et si sérieux.

D'où vient le surnom de « The Dude » ?
Steve Rude : Ah... « The Dude »... Mon dieu...

Est-ce que cela vient de The Big Lebowski ?
Steve Rude : Non, ça ne vient pas du film. Aux Etats-Unis, le surnom de « The Dude » est de l'argot, c'est comme ça que les gens s'appellent les uns les autres, tout le temps. Et j'ai eu un collègue qui appelait tout le monde« Dude », et j'ai commencé à faire de même. Puis j'ai commencé à m'appeler moi-même « Dude », comme dans « Rude the Dude », voilà comment ça a commencé.

En France on dit « mec » !
Steve Rude : « Mec » ? C'est l'équivalent de « Dude » ?

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre artiste pour en comprendre le génie, qui irais-tu visiter ?
Steve Rude : Si je pouvais observer n'importe quel artiste peindre ou dessiner devant moi, ce serait Harry Anderson ou John Gannam, des grandes années de l'Illustration, dans les années 40 et 50. Je donnerais n'importe quoi pour les voir dessiner.

Mais s'il s'agissait vraiment de pouvoir acquérir un point de vue ou un talent ?
Steve Rude : Il est impossible d'entrer dans le cerveau de quelqu'un. Tout ce qu'on a, c'est notre propre cerveau. Tout ce que je voudrais, c'est pouvoir leur rendre visite et les regarder travailler afin de pouvoir absorber ça dans mon propre cerveau. Je suis très heureux, dans mon cerveau et ça, ça me suffirait pour apprendre.

Merci Dude... euh Steve !

Remerciements à la librairie Diable Blanc Comics pour l'organisation de cette rencontre, à Alain Delaplace pour la traduction, à Mickaël Géreaume pour ses questions, son chapeau et la mise en forme de l'ensemble.

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