L'histoire :
En 1915, la première guerre mondiale ravage l’Europe. La Turquie, gouvernée par le parti des « Jeunes-Turcs », est rangée aux côtés des empires centraux. Aram, Arménien d’origine, est alors un jeune soldat au sein de l’armée ottomane. Il est ravi de se diriger vers la région de Kharput, loin du front, afin de servir de main d’œuvre « intérieure ». Il se contente également de voir que les arméniens servent aujourd’hui sous le drapeau turc, alors que les deux ethnies étaient encore en conflit, hier. Cependant, au terme d’une longue marche désarmée dans le désert, sa compagnie est sommée de s’arrêter, au milieu de nulle part. Un bataillon de turcs met en joue le groupe de soldats arméniens et… le fusille. Dans un bain de sang, le groupe s’effondre. Miraculé, Aram feint d’être mort au milieu des cadavres. Il prie pour être épargné par les baïonnettes turcs qui achèvent les agonisants. Plus tard, lorsque les turcs sont repartis, il se relève et entame une longue marche sous un soleil de plomb, jusqu’à atteindre un village. Il trouve l’aide providentielle de Murat, un jeune Turc, qui le dissimule entre les caisses de fruits de sa charrette. Ailleurs, la riche famille de Sona est torturée et décimée par les turcs. Globalement épargnée, la jeune femme doit rejoindre une caravane condamnée elle aussi à « disparaître » dans le désert…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Medz Yeghern (en français, « Le grand mal »), est le nom donné par la diaspora arménienne au génocide perpétré par l’armée ottomane durant la première guerre mondiale. Ce petit roman graphique, en noir et blanc et en one-shot, met en scène divers contextes de la tragédie. Morcelé, comme pour nous permettre de ne pas céder à la répulsion devant l’horreur, le récit nous donne à suivre 4 fils rouges, en alternance, revenant différemment sur la mise en œuvre de cette solution finale. Tantôt nous suivons la fuite du jeune soldat Aram, miraculé d’une fusillade ; tantôt c’est l’exil de Sona, qui a vu ses proches torturés ; tantôt deux allemands essaient – en vain – d’infléchir la démarche exterminatrice de leurs alliés de l’époque, via des témoignages photographiques ou la diplomatie. On connait le résultat, toujours nié par la Turquie actuelle : un million cinq cent mille morts. On peut certes externaliser l’horreur en la replaçant dans un contexte passé, à une époque de guerre mondiale… Néanmoins, les conflits actuels nous rappellent chaque jour qu’on n’est toujours pas, un siècle après ces évènements, à l’abri d’une telle barbarie. S’il est important de savoir et de transmettre, une mise en garde s’impose aux âmes sensibles : les méthodes d’extermination turques ici retranscrites, furent d’une violence extrême. Néanmoins, l’auteur Paolo Cossi emprunte un style graphique simple et précis, d’une grande justesse : à la fois explicite, sans concession, ni complaisance. Engagé (et on le serait à moins), Cossi joue intelligemment avec la mise en scène et les effets (la scène du viol est déformée et symbolisée). S’appuyant souvent sur de réels documents d’archives (lettres, ordres officiels…), le récit est heureusement également ponctué de quelques lueurs d’espoir (l’amitié entre Aram et Murat). On en sort bouleversé, révolté et on se sent terriblement fragile…