interview Bande dessinée

Michaël Le Galli

©Delcourt édition 2008

En avril-mai, Michaël Le Galli vient de susciter une triple actualité chez Delcourt, en publiant le tome 5 de Watch (un thriller géopolitique), le 4e et dernier opus des Cercles d’Akamoth (un thriller fantastique oppressant) et le one-shot 7 guerrières (une aventure historique, dans la lignée de la collection « 7 »). Trois séries, trois tons bien différents… L’occasion pour les bédiens d’en savoir plus sur ce scénariste prometteur !

Réalisée en lien avec l'album 7 guerrières
Lieu de l'interview : Le cyber-espace

interview menée
par
28 mai 2008

Pour faire connaissance, peux-tu te présenter (brièvement) ? Ta vie, ton œuvre, comment en es-tu arrivé à faire de la bande dessinée ?
Michaël Le Galli : Enfant, je découvre la bande dessinée franco-belge : Tintin, Lucky Luke et Blueberry notamment. Puis un oncle m'abonne au journal Tintin et je suis particulièrement marqué par Thorgal et par Rork d’Andreas. Viens ensuite la révélation avec les œuvres d'Hugo Pratt qui est resté pour moi l'Auteur incontournable. Adolescent, je deviens l'un des responsables d'une BDthèque. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé avec plus de 5 000 bandes dessinées à ma disposition. Au cours de mes études d'ethnologie, j’entreprends des recherches en rapport avec le neuvième art (Maîtrise sur les relations entre la Bretagne légendaire et la bande dessinée). En doctorat d'ethnologie, je travaille notamment sur les auteurs de bande dessinée. Dans ce cadre, je décide de suivre « de l'intérieur » l'évolution d'un projet de bande dessinée en me positionnant comme scénariste. Le scénariste Dieter, rencontré à Quai des Bulles me propose son aide : c'est lui qui m’initie au scénario. Petit à petit, j’abandonne mes recherches d'ethnologie pour me consacrer au scénario. Par la suite, je continue à travailler mes techniques narratives avec David Chauvel. C’est en 1999 que je rencontre Emmanuel Michalak et mon premier album, les Cercles d'Akamoth tome 1 paraît chez Delcourt en mai 2003.

Tu sembles avoir installé tes quartiers chez Delcourt. A part Les cercles d’Akamoth, les deux autres séries que tu scénarises (Watch et 7 guerrières) s’inscrivent au sein de collections toutes deux dirigées par David Chauvel. C’est l’amour ?
Michaël Le Galli : La façon de travailler de David Chauvel me convient parfaitement. Il fait un suivi éditorial exemplaire et suit l'élaboration de chaque projet en apportant un regard critique et structurel très rigoureux. Il est vraiment concerné par toutes les étapes d'élaboration de chaque livre, depuis l'idée même de la série jusqu'à la fabrication du livre et son accompagnement marketing. C’est donc naturellement vers lui que je me tourne quand j’ai un nouveau projet. Mais cette relation n’est pas exclusive et je n’ai rien contre le fait de travailler avec d’autres éditeurs.

Comment se sont déterminées tes différentes collaborations ? Avec Emmanuel Michalak (pour Les cercles d’Akamoth), avec Luca Erbetta (pour Watch) et avec Francis Manapul (pour 7 guerrières) ?
Michaël Le Galli : J’ai rencontré Emmanuel Michalak fin 1999 par l’intermédiaire d’Anne Ploy avec qui j’avais sympathisé au festival Quai des Bulles à Saint Malo. Dans un premier temps, avec Emmanuel, nous avons développé un projet de polar psychologique et intimiste, un one shot en N&B (j’y reviendrai plus loin). Lorsque nous avons commencé à chercher un dessinateur pour Watch, Thierry Mornet (responsable éditorial comics chez Delcourt) nous a montré le travail de Luca Erbetta, qu’il avait déjà publié chez Semic. C’est encore Thierry Mornet qui a sollicité Francis Manapul pour moi.

Leurs défauts, leurs qualités ? (joker interdit)
Michaël Le Galli : Emmanuel a une réelle empathie pour les personnages qu’il met en scène. Et puis il a un vrai sens de la narration en bande dessinée. En revanche, les femmes ne sont pas son point fort. Luca Erbetta a une capacité de travail incroyable, il peut réaliser 12 pages en 1 mois. A l’inverse, son dessin manque parfois de constance. Francis Manapul a une faculté d’adaptation qui m’a beaucoup impressionné. Il a aussi tendance à se disperser…

Les cercles d’Akamoth terminés, peux-tu nous tirer un petit bilan vu de l’intérieur, sur ce quadriptyque ?
Michaël Le Galli : Je me dis que pour une première série ce n’est pas si mal. Il y a bien sur un certain nombre de choses sur lesquelles je souhaiterais revenir, mais il faut aller de l’avant. J’aimerais bien qu’existe un jour une intégrale noir et blanc.

Qu’est-ce qui a été à l’origine de cette histoire ? Comment as-tu imaginé le principe de la série ?
Michaël Le Galli : A l’origine, les Cercles sont nés d’une envie de raconter l’histoire d’un flic noir à Los Angeles. James Ellroy avec le Quatuor de Los Angeles, Edward Bunker avec Aucune bête aussi féroce et Michaël Connelly avec les Harry Bosch y sont sûrement pour quelque chose. D’un autre côté, la découverte des thèses gnostiques (hérétiques des premiers siècles du christianisme) et la lecture du livre de Papini sur le Diable ont orienté le récit vers plus d’ésotérisme. Mais Les Cercles d’Akamoth n’était pas notre premier projet commun avec Emmanuel Michalak. En septembre 2000, avec Emmanuel nous avions d’abord présenté un projet de polar psychologique et intimiste aux éditions Delcourt… projet qui a été refusé. Néanmoins, François Capuron (directeur éditorial à l’époque) nous a invités à lui présenter un autre projet pour la collection Machination qu’il souhaitait développer. Nous nous sommes remis au travail et quelques mois plus tard, nous présentions « Les Cercles d’Akamoth » qui a, en fin de compte, été publié dans la collection Insomnie.

Personnellement, sur planetebd, on a trouvé que les tomes 2 et 3 étaient un peu « mous »… N’aurait-il pas été envisageable de faire une trilogie ?
Michaël Le Galli : Non. Concernant Edgar, il fallait passer par différentes étapes de destruction/reconstruction de sa personnalité. Dans le troisième tome par exemple, il fallait qu’Edgar se retrouve dans l’impasse, sans autre solution que d’accepter l’aide de sa mère. C’est peut être ce qui donne cette impression de « mou ».

Combien de tomes sont-ils encore programmés pour Watch ? Y a-t-il une fin ou est-ce une série au long cours ?
Michaël Le Galli : Il reste 1 tome avant la fin de la série et j’ai préparé un final qui, j’espère, sera marquant. Bien sur, ça me fait de la peine d’abandonner Watch. Je suis très attaché aux personnages. J’avais encore beaucoup de choses à raconter, à dénoncer avec cette équipe. Mais le lectorat ne suit pas suffisamment, donc la série s’arrête.

Parlons 7 guerrières : comment as-tu imaginé le pitch de cette aventure, pour t’affranchir des contraintes éditoriales de la collection ?
Michaël Le Galli : L’idée n’était pas de s’affranchir, mais bien au contraire de s’inscrire dans une démarche éditoriale. C’est très excitant de participer à une série de ce type, construite sur le principe de variation sur un thème imposé.

Comment Francis Manapul est-il tombé dans ton escarcelle ?
Michaël Le Galli : Je dois cette opportunité à Thierry Mornet, responsable éditorial comics aux éditions Delcourt. Et je le remercie encore :o)

Pourquoi avoir choisi une époque et une civilisation si peu connue du grand-public ?
Michaël Le Galli : Dès que l’idée de raconter une histoire avec 7 personnages ont une mission à accomplir, j’ai eu envie de raconter une histoire avec 7 femmes. J’ai fait quelques recherches sur les femmes guerrières qui ont traversé l’histoire et je suis tombé sur les Sarmates. Le reste découle de cette découverte.

D’où te sont venues les inspirations pour cette histoire ? Le souterrain piégé fait comme de gros clins d’œil à Indiana Jones…
Michaël Le Galli : Il n’y avait pas à proprement parler de référence à tel ou tel film. Dans mon esprit, il fallait raconter une histoire très grand public qui soit dans l’esprit des 7 Mercenaires de Sturges (même si j’ai une préférence pour l’œuvre d’origine : 7 Samurais de Kurosawa).

Laquelle des 7 guerrières est ta préférée ?
Michaël Le Galli : Izza-Maya. Parce que malgré tout ce qui peut lui arriver, elle trouve la force et l'énergie d'aller de l'avant.

Hormis le tiens, lequel des albums « 7 » préfères-tu ? (joker interdit)
Michaël Le Galli : Chaque album de 7 ayant ses caractéristiques propres, avec ses qualités et ses défauts, difficile d’en choisir un plutôt qu’un autre. Récemment, j’ai été très impressionné par le 7 Yakuzas que j’ai eu la chance de lire en avant première.

Comment se déroule « techniquement » tes différentes collaborations (envoie du scénar petit à petit ? Tout d’un coup ? Pré-découpage ?) ?
Michaël Le Galli : Formellement, après avoir rédigé un synopsis/séquentiel dialogué de l’album, je découpe chaque planche, case après case avec échelles des plans, cadrages, descriptions et dialogues. Une fois cette mise en scène virtuelle terminée, je la soumets au dessinateur ou la dessinatrice avec qui je travaille qui la met en image en se l’appropriant, en y apportant des améliorations. Une fois le story board réalisé, nous retravaillons ensemble le découpage et les dialogues. Généralement nous travaillons sur une scène complète. Une fois les planches encrées, il m’arrive de revenir encore sur certains dialogues.

Tu gères différemment en fonction de la personnalité des dessinateurs ou tu appliques les mêmes méthodes pour tout le monde ?
Michaël Le Galli : Même si la méthode est la même, je m’adapte à chaque collaborateur. Pour 7 Guerrières par exemple, j’ai découpé tout l’album d’un seul coup pour qu’il puisse être traduit, Francis Manapul n’étant pas francophone.

Es-tu tatillon sur le rendu des planches ? C'est-à-dire, leur fais-tu refaire souvent les cases ou séquences qui te paraissent ratées ou moyennes ?
Michaël Le Galli : Je ne reviens sur un dessin ou sur une scène que si l’intention de départ n’est pas respectée.

Inversement, te pointent-ils parfois des incohérences de scénario ?
Michaël Le Galli : Oui, bien sur. Tous les commentaires, les remarques ou suggestions qui permettent d’améliorer un album sont les bienvenues.

Qu’est-ce qui te pose le plus de difficulté dans le travail de scénariste ?
Michaël Le Galli : Les dialogues. Et s’il y a bien une chose que je ne me vois pas faire, c’est le gag en une page.

Combien de temps mets-tu pour faire un album ?
Michaël Le Galli : Ça dépend… Entre 2-3 mois (pour 1 tome de Watch par exemple) et plusieurs années (pour Batchalo, diptyque à paraître chez Delcourt)…

Travailles-tu dans une ambiance particulière ?
Michaël Le Galli : Dans le calme. Je n’écoute pas de musique par exemple, parce que ça me déconcentrerait. Quand j’écoute de la musique je ne fais que ça.

Sinon, des envies de collaborations particulières ?
Michaël Le Galli : Je rêve de travailler avec un dessinateur qui maîtrise parfaitement le noir et blanc.

Quels sont tes (autres) projets en cours et à venir ?
Michaël Le Galli : - La bataille des OGM à paraître chez Delcourt. Un livre engagé et d’actualité avec le talentueux Mike au dessin (voir le blog) et Xavier Basset à la couleur.
- Batchalo un diptyque à paraître chez Delcourt avec Arnaud Betend au dessin et à la couleur (voir ici). C’est une histoire qui me tient particulièrement à cœur. Cela fait plusieurs années que je travaille dessus. A travers l’histoire d’un père qui tente de retrouver son fils enlevé à tort par des nazis, j’ai souhaité développer trois idées fortes :
- raconter une histoire d’amour entre deux personnes que tout oppose.
- découvrir un peuple méconnu, les Rroms, leurs mœurs et leurs coutumes.
- dénoncer l’holocauste dont ils ont été victimes pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Je vais retravailler avec Marie Jaffredo avec qui nous avons réalisé Les Démons de Marie (Carabas). Il s’agit d’un thriller médiéval. J’ai deux autres séries qui sont quasiment signées mais il est trop tôt pour en parler. Et puis je travaille depuis longtemps sur un hommage à Hugo Pratt et sur une biographie du Caravage.

Si tu étais un bédien (un habitant de la planète BD !), quelles seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ? (soit parce qu’ils sont indispensables, soit parce qu’ils sont trop méconnus à ton goût)
Michaël Le Galli : Conte Démoniaque d’Aristophane et La ballade de la mer salée d’Hugo Pratt.

Quelles sont tes influences (tous arts confondus : graphiques, musiques, ciné…) ?
Michaël Le Galli : Je ne reviens pas sur Pratt. Au cinéma, j’ai longtemps été marqué par l’œuvre de François Truffaut. En musique, du rock alternatif : Noir Désir (ah ce concert de 1989 !!), Pixies, PJ Harvey (ah ce concert de 1992 !!), du classique avec les quatuors à corde de Schubert et toute œuvre pour violoncelle. En jazz les petites formations de type trio ou quartet…

Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans la peau et le crâne d’un autre auteur de BD (pour comprendre sa démarche artistique, par ex.), chez qui irais-tu voir le monde ?
Michaël Le Galli : Hugo Pratt.

Merci Michaël !