L'histoire :
Flora, une jeune orpheline, n'habite plus dans la vaste propriété de famille située dans la campagne anglaise, à Bly, depuis la mort tragique de ses parents et de son frère Miles. C'est chez son oncle qu'elle a élu domicile en compagnie d'une gouvernante, Mrs. Grose. Un soir, son oncle souhaite avoir une discussion avec la gouvernante à propos de Flora. Il lui demande de retourner à Bly avec Flora et refuse de prendre en charge sa nièce. Pour quelle raison ? Personne ne le sait vraiment... Au cœur de la nuit, le spectre de Flora apparait dans le salon du manoir. Assis dans un fauteuil, l'oncle attendait manifestement sa nièce. Celle-ci commence à lui poser des questions sur la mort suspecte de ses parents, puis de son frère... Gêné, l'oncle répond comme il peut : ses parents sont morts aux Indes dans un accident de voiture et son frère d'un malaise cardiaque... Apparemment, le fantôme de Flora sait beaucoup de choses au sujet de son oncle, de Miss Jessel, l'ancienne gouvernante de Flora et de son amant, le valet Peter Quint. Notamment à propos d'une nuit qui aurait mal tourné, débouchant sur la mort d'une jeune femme...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Directement inspiré du chef-d’œuvre fantastique de Henry James Le Tour d'écrou, La Protectrice n'en est pourtant pas une simple adaptation littérale, mais bien une suite qui réinterprète l'essence d'un roman encore énigmatique et ambigu dans son final. C'est donc à une plongée dans les abimes de la folie et des pulsions que nous convie l'auteur espagnol Keko. Troublantes et dérangeantes tout en distillant le malaise, les partitions narratives et graphiques sont de toute beauté. Primo, Keko use d'un texte très littéraire, souvent allusif et pouvant être lu à plusieurs niveaux de réalité (comme le dessin), véritable ressort schizophrène du drame à venir. Plus fort encore, le graphisme à la fois glacial et expressif qui use de complexes jeux de trames, de gaufriers brisés ou classiques, d'inserts de textes, le tout oscillant en permanence entre étrangeté et surnaturel, cruauté et innocence, horreur et angélisme, parfaites métaphores de l'obsession du mal. Névroses hallucinatoires, délires ou fantasmes profonds, pure imagination, le texte, les personnages et les lieux sont profondément hantés par des fantômes tout droits sortis des ténèbres, qui se croisent ou s'évitent, bousculant les certitudes d'un lecteur perdu dans un monde fuyant les apparences, mais captif de consciences torturées. Histoire d'une innocence corrompue, image intense de l'éternel retour de la violence, songe cauchemardesque où les revenants espèrent avoir le dernier mot, La Protectrice trouble, effraie et envoûte le lecteur pris d'un vertige abyssal, au milieu de zones d'ombre sans fin. Revers de la médaille, Keko, confiant en son lecteur, exige de lui une concentration de tous les instants. A l'image de Clint Eastwood lorsqu'il adapte au cinéma un roman de Denis Lehanne (Mystic River), Keko révèle sa fine compréhension du livre de Henry James en s'emparant des ambiguïtés sous-jacentes du texte et en en magnifiant l'esprit par une mise en image ad hoc, aussi virtuose, noire et spectrale que ses simulacres de personnages, éminemment complexes car dotés de personnalités multiples. Lecture terminée, nous vient l'envie de relire Le Tour d'écrou. Une BD donc très réussie !
