L'histoire :
Un jeune père de famille, qui travaille dans un abattoir porcin pour ramener de l’argent à la maison, raconte tous les soirs une histoire à sa fille. La petite a beaucoup d’imagination, elle donne à son père la liste des personnages qu’elle veut, il ne lui reste plus qu’à construire quelque chose autour. C’est un vrai exutoire pour lui, un moment de poésie et de douceur. Traumatisé par ce qu’il vit au quotidien au boulot, la violence du processus d’électrocution, de vidange du sang des animaux morts, et toutes les étapes de ce métier qu’il n’a pas choisi, il se demande comment il pourrait un jour trouver autre chose. Mais pour le moment, son épouse infirmière et lui ne peuvent pas se permettre d’abandonner un revenu. Un soir, sa fille demande un personnage supplémentaire dans son histoire du jour : un cochon qui porterait un tatouage sur le cœur. Pas de problème pour Fabien, le cochon tatoué fait son entrée dans le récit. Le lendemain, il tient le poste de contrôle de l’arrivée des animaux en provenance des fermes voisines. L’objectif du job est de détecter si certains animaux semblent blessés et devoir faire l’objet d’un contrôle vétérinaire avant d’entrer dans l’abattoir. Mais sur le plateau du camion qui vient d’arriver, parmi des dizaines de bêtes tout à fait normales, il y a un cochon tatoué...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Encore une fois, Laurent Bonneau nous stupéfait en illustrant une histoire ancrée dans le quotidien avec une originalité graphique qui frappe dès la première page. Rien n’est comme ailleurs dans ses cases qui mélangent un vrai réalisme (le dessinateur remercie en fin d’album ceux qui ont posé pour lui), et une torsion du réel avec des fulgurances visuelles qui couplent le souffle. Comme cette p.40 sur laquelle Fabien entre dans le parking de l’abattoir avant que le jour soit levé. Une pleine page entièrement verte, sublime et très contemporaine. Ou ce moment incroyable où il parvient à nous faire plonger dans l’imagination d’Elisa qui écoute son père raconter une histoire. Damien Marie écrit le scénario de cette histoire très humaine, touchante et dure, où l’espoir surgit de manière inespérée. Fabien est fatigué par sa vie contrainte, ses traits sont tirés, Bonneau lui dessine un visage très anguleux, mais il ne renonce pas et se nourrit de la force naïve que lui transmet sa fille lors de leurs rares moments ensemble. Le ton du livre est très actuel, les dialogues sonnent juste, les bières artisanales que les amis boivent à travers l’album peuvent constituer une belle liste de courses pour l’amateur éclairé. C’est aussi une chronique mélancolique sur les renoncements de la vie, doublée d’une immersion étonnante jusque dans les vestiaires des ouvriers de l’abattoir. Le rythme de lecture est rapide, le découpage est d’une fluidité totale, après Ceux qui me restent, c’est la deuxième collaboration entre Bonneau et Damien Marie, une nouvelle réussite artistique et narrative. Certes, peut-être le titre aurait pu être différent, et ne pas tenter de faussement rappeler leur précédent album ensemble. Car évidemment il n’y a pas la moindre redite.