L'histoire :
Paris, vendredi 5 décembre 1986, 19h30. Amphithéâtre de la Sorbonne. Devant une assemblée très garnie, un étudiant prend la parole contre le projet de loi Devaquet. Un texte qui veut faire la sélection à l’entrée des universités : les recteurs d’université n’auraient plus l’obligation d’inscrire tous les bacheliers dans la filière de leur choix. Pendant ce temps-là… Les effectifs de police ont reçu des ordres de l’intérieur : les étudiants sont chauds bouillants. Il va falloir répondre. Les étudiants vont vouloir se défouler tout à l’heure dans les rues du Quartier Latin. Martin ajuste son nœud-papillon alors qu’il s’apprête à dîner. Un homme l’interrompt pour lui conformer que Chirac est attendu au 10 Downing Street dans une demi-heure pour dîner avec Thatcher. Jérôme accueille amoureusement Lise, sa compagne, médecin légiste. Son trajet retour a été interminable, tout le quartier est bouclé. Inspection générale des services. Jean-Luc part récupérer sa fille dont il a la garde ce week-end. Oscar est de bonne humeur, il chante Tombé pour la France de Daho. Il est de garde ce soir à l’hôpital Cochin. Le petit Hassin dîne avec sa mère qui lui a préparé un beefsteak-purée. 20h03. René Monory, Ministre de l’Éducation Nationale prend la parole pour rassurer les Français sur le nouveau dispositif que souhaite mettre en place le gouvernement. Malik Oussekine sort d’une laverie…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Il y a 30 ans, un jeune homme est mort lors des manifestations étudiantes sous les coups de matraque de la police. Il était étudiant à l’École Supérieure des professions immobilières. Il habitait une chambre de bonne dans le XVIIème arrondissement de Paris. Son nom : Malik Oussekine. Ce patronyme ne signifie rien pour les moins de 35 ans, à l’heure où les étudiants de 2016 se soulèvent contre le projet de loi El Khomri. Pour qu’il ne tombe pas dans l’oubli, Laurent-Frédéric Bollée prend sa plus belle plume et rafraîchit notre mémoire. À l’époque, Bollée était étudiant en AES à l’Université Panthéon Paris II-Assas. Il est devenu depuis lors l’un des scénaristes qui compte dans le monde de la BD et construit un récit poignant. Que serait devenu Malik Oussekine s’il était encore vivant : un employé de bureau, un agent immobilier, un fonctionnaire ? Serait-il marié ? Aurait-il eu des enfants ? Vivrait-il toujours en Région parisienne ? On ne le saura jamais. La bêtise humaine en a décidé autrement… Ce qui frappe, ici, c’est le choix de la construction narrative, à la manière d’un thriller en split-screen. Sans parti-pris, Bollée raconte par séquences la vie d’anonymes créés de toutes pièces qui, de près ou de loin, auraient pu croiser la route de Malik Oussekine. Ce choix permet de mesurer l’impact social que cet assassinat en règle par les voltigeurs – la police mobile à moto destinée à réprimer les manifestations étudiantes – a provoqué dans le pays. Jeanne Puchol illustre en noir et blanc, sans détour, cette tragique histoire. Son trait réaliste et son découpage vif donnent une vraie dynamique au récit et à la narration. Elle signe sans doute ici le meilleur album de sa carrière. Plongez-vous sans attendre dans cette histoire, vous n’en sortirez pas indemne, comme l’ensemble des protagonistes.