L'histoire :
Singularity est devenu un monde où les personnes, appelées des résidents, ne vieillissent pas, grâce à des échanges incessants de parties de leur corps. Pour maintenir les résidents en vie, le Centre Datacenter stocke les données de chacun de ses habitants. Cette sorte de mémoire gigantesque et collective peut également effacer les données d'un résident pour le faire disparaître pour toujours. Dans le secteur 6 de Singularity, un résident connaît justement cette phase d'implantation d'une nouvelle partie de son corps. Lucius Amont se réveille avec, comme d'habitude, un immense mal de tête. Ce genre d'opération n'est pas sans douleur. Il ne reconnaît plus son visage mais plus inquiétant encore : sa mémoire s'efface. Le système semble dysfonctionner, il s'éteint et se rallume. Lucius se rend au travail mais ses problèmes ne s'arrangent pas, bien au contraire : il a la désagréable sensation d'être relié à tous les résidents qu'il croise et il est incapable de contrôler ces masses d'informations. Il finit par être complètement submergé et son corps explose, provoquant de gros dégâts. Encore un nouveau coup dur pour le Sénat...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Yann Legendre signe ici une œuvre d'anticipation des plus étonnantes. Ce graphiste français, qui enseigne sa technique aux États-Unis, est à l'origine du mouvement Design Life, une sorte d'art protéiforme qui joue sur plusieurs techniques novatrices. C'est comme si son premier album était une sorte de manifeste de cette technique unique et sidérante. Car il faut bien le dire, c'est beaucoup plus par son visuel que l'artiste nous marque dans cet album, que par son scénario. L'histoire est certes plutôt bien menée, mais la trame reste un classique (voire un poncif) des récits d'anticipation. Ce qui, par contre, est plus qu'original, c'est le dessin en noir et blanc qui vous saisit à la gorge et vous transporte dans un autre monde. Plein de formes cubiques, angulaires ou arrondies, le visuel est difficile à décrire tant il est déroutant et en même temps profondément pensé. Le jeu du noir et blanc donne des formes nouvelles et les formes amènent à un jeu d'ombrage complètement fou et digne des peintres surréalistes. Grâce à cette expérience graphique, le récit prend une toute autre dimension et s'apparente presque à un cauchemar orwellien. Le tout est d'autant plus habile et inquiétant que le sujet de l'opus est de se débarrasser d'une enveloppe ancienne pour trouver une forme de vie organique, comme si Legendre se détachait de toute convention visuelle pour accéder à une réalité autre. Bienvenue dans un monde... singulier !
