L'histoire :
« J’étais comptable et je m’encroûtais... » 1890 : un tout petit bonhomme à lunettes échange avec ses collègues dans un bureau de New York. Il rêve de l’Ouest. Ses comparses le mettent en garde sur l’aspect dur et sauvage de la chose, citant comment les « pieds tendres » sont reçus, à coup de « cours de danse » et de « goudron et plumes ». Arrive un cow-boy, tout aussi petit et moustachu, qui s’est perdu dans la grande ville. Les comptables vont le ridiculiser en l’accoutrant de charentaises, et l’obligeant à s’installer sur un fauteuil en lisant un journal. La honte suprême…
Dans Le catalogue de nouveautés, un cow-boy arrive juste avant la mort d’un voyageur dans le désert, ce dernier lui remettant un paquet pour sa femme, vivant plus loin dans une ferme. Il s’agit d’un catalogue dame de la mode d’été. Le cow-boy, investi d’une mission et fantasmant la belle madame Finch, franchit tout un tas de mésaventures dangereuses, avant d’enfin arriver à ladite ferme. Là, il tombe sur une paysanne pas très jolie, qu’il s’empresse de « monter », avant de… retourner vivre en solitaire dans la nature, non sans avoir gardé le fameux catalogue. Quant à Dusty Graves, « il sentait bien dans son cœur qu’il y aurait pas pour lui dix-mille manières de devenir un homme. Il devait buter un type ». Rencontrera-t-il son destin ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Que Blutch ait débuté dans la revue Fluide Glacial au début des années 1990 ne fait pas mystère. Mais il est aussi, depuis la même époque, associé aux jeunes éditions Cornélius, avec Lettres américaines (1995). L’humour décalé dont il a usé aux éditions Audie s’est d’abord développé avec les scénettes de Waldo’s bar. Puis son personnage de Sunnymoon a vécu quelques aventures fantastiques, dans l’esprit d’Hypocrite, avant que le vent de l’Ouest ne souffle. Rancho bravo a fait l’objet de 12 histoires dans la revue créée par Gotlib, durant un an, d’avril 1997 à avril 1998. Et l’essentiel des scénarios a été écrit par Jean-Louis Gauthey, alias Capron, éditeur en parallèle des éditions Cornélius, qui réalisera Chiquo la Muerte deux ans plus tard avec Hugues Micol. Dans cette revisitation de l’Ouest sauvage, Capron détonne avec un ton à la fois cynique et écolier, au verbe fleuri bien à lui, s’entendant à merveille avec son compère Blutch, un des dessinateurs phare de son catalogue. A se demander si ce Rancho Bravo, avec des péquenots évoluant dans un Ouest fantasmé et en même temps moqué, où tous les travers vus au prisme des comics pocket des années 1970 lus par les deux amis font l’objet d’épisodes savoureux, n’a pas donné matière au personnage de Blotch, autre bonhomme ridicule créé par le dessinateur un an plus tard, évoluant dans le Paris de l’entre-deux guerre. Tant cet humour cynique est similaire. Ici, Blutch utilise son trait sauvage, charbonneux et jeté, pour donner vie à toute cette faune de méchants et ridicules cow-boys ou indiens, ces politiciens véreux ou ces paysans malheureux, en haillons, vivant chichement de leurs terres. Les femmes ne sont pas en reste, soit trop belles et naïves, soit franchement laides et parfois calculatrices, mais toujours personnages d’histoires amenées avec intelligence, au service d’un humour franchement marrant. Rancho bravo titre juste. Cette belle édition augmentée de petits dessins tirés des archives de l’auteur arrive à temps, car l’album était indisponible depuis de nombreuses années et devenu rare. Rions ; Bravo !