L'histoire :
Le commissaire Crémèr effectue une croisière, accompagné de son adjoint Lucas (petit, gros et soumis) et de sa chienne Jessica (un labrador femelle à l’estomac fragile). Tandis que le tangage provoque chez Jessica des vomissements intempestifs sur le pont, Crémèr fait la connaissance d’un scientifique affable, le professeur Shrewbury. Le soir même, il est invité pour le dîner, à se joindre à sa table, où des débats récurrents opposent ce dernier à un ecclésiastique et à un anthropologue. Le sujet du moment porte sur la théorie de l’évolution. Crémèr s’aperçoit que l’alcool aidant, ces débats passionnés se terminent systématiquement en pugilat… Le lendemain, suite à une avarie, le navire doit jeter l’ancre au large d’une petite île, dans l’archipel de Sumatra. Etant donné que les réparations s’annoncent longues, l’équipage débarque les passagers sur le rivage, où ces derniers peuvent poursuivre leurs distractions estivantes. Notre groupe de conférenciers se retrouve donc dans un environnement propice à l’étude de leur matière favorite. Or ils ont à peine le temps de faire quelques pas dans la forêt luxuriante, qu’un arbre gigantesque choit et écrabouille fatalement le professeur Shrewbury. Il meurt évidemment sur le coup. Crémèr trouve aussitôt un coupable : un petit être chétif, poilu et inoffensif, à mi-chemin entre le sauvage et le singe, que les autochtones appellent Kouyû- Kouyû. Mais ce coupable est-il bien humain ? Dans la négative, peut-il encore s’agir d’un meurtre ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Aucun doute n’est permis : ce nouveau héros burlesque est bien l’homonyme et la caricature du dernier acteur en date du Maigret télévisé. Burlesque certes, mais pas parodique. Car à l’antithèse du célèbre commissaire, cette première enquête de Crémèr n’a que peu de rapport avec une intrigue « classiquement » policière. Le lecteur est ici confronté à une aventure anthropologique, aux relents philosophiques, servie par des dialogues d’un raffinement rare. La découverte d’une espèce nouvelle, sorte de maillon manquant dans la chaîne de l’évolution, plonge nos héros dans un embarras troublant. Le crime (particulièrement saugrenu !), et la pseudo enquête qui en découle, débouchent au terme de divers atermoiements, sur des questions pas si absurdes que ça. Une sorte de Controverse de Valladolid délirante, mais pas complètement débile non plus. Au cœur du propos : qu’est-ce qui différencie l’homme de l’animal ? Un animal peut-il être coupable d’un crime ? Et par extension, la justice des hommes a-t-elle un sens ? Au terme de raisonnements philosophiques et de divers éclairages scientifiques, le scénariste David Vandermeulen (Fritz Haber !) n’établit aucune morale à l’affaire, ici particulièrement immorale : il est essentiellement question de nous faire nous interroger... et en ce sens, l’objectif est rempli. La légèreté de ton et le traitement graphique de Daniel Casanave (une aventure rocambolesque d’Attila le hun, avec Manu Larcenet), moderne et schématique, préservent en outre ce sujet de tout aspect rébarbatif. Avec une recette pareille, on ne peut qu’être ravi de bientôt retrouver notre commissaire pour une seconde aventure, dans l’enquête intérieure…