L'histoire :
A Colomb Bechar, dans l'Ouest de l'Algérie, des familles sont regroupées, valises sous le bras, surveillées par les forces de police. Nous sommes en juillet 1962, le pays vient d'accéder à l'indépendance, les tensions sont très fortes, et les familles d'origine française prennent l'avion pour Marseille. Les regards sont tristes, les passagers quittent pour la plupart la ville où ils sont nés, avec l'espoir déraisonnable de pouvoir revenir un jour. Le commandant de bord sait que le vol risque d'être perturbé, car les villes plus au Nord sur leur trajet sont la prise de violents affrontements avec l'OAS, qui a notamment mis le feu aux citernes de pétrole d'Oran. Il demande à son copilote d'analyser la liste des passagers pour y déceler d'éventuels fauteurs de troubles. Laurent est un jeune garçon lecteur assidu du journal Spirou, un passager lui a prêté un album de Buck Danny dans lequel il compte bien se plonger pendant toute la durée du voyage. Lorsque la cabine se remplit, on voit passer un colonel de l'armée en uniforme qui peste contre la trahison de De Gaulle, des mères de famille qui refusent de réaliser ce que signifie ce départ vers la métropole, ou une jeune femme qui laisse sur place le bordel de luxe qu'elle a créé de toutes pièces au bord du Sahara. Après quelques minutes de vol, un homme en civil se présente discrètement auprès de l'hôtesse comme un agent de la DST. Il sait qu'un espion soviétique a pris place à bord, et il prépare son arrestation à Marseille. Mais lors de ses premiers contacts avec la tour de contrôle d'Oran, il reçoit de soi-disant autorités militaires l'ordre de se poser.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Un suspense se tend dans la cabine d'un avion d'Air France, autour d'une galerie de personnages de caractère et d'un petit gamin alter ego du scénariste Jean-Laurent Truc. Sur la base d'un souvenir d'enfance, l'auteur avait imaginé cette histoire à suspense pour replonger dans la peur qu'il avait ressentie lors de ce vol de retour d'Algérie. Le cahier graphique en fin d'album rend hommage aux premières pages découpées par le regretté Patrick Jusseaume, dessinateur entre autres de Tramp. Olivier Mangin a l'élégance de rendre hommage à celui qui devait à l'origine réaliser cet album. Il s'inspire de ses premiers éléments de mise en scène, avec son style fluide et très naturel qui convient parfaitement à ce quasi huis-clos. A aucun moment les décors ne semblent contraignants, les mouvements dans le hall d'aéroport, comme les allées et venues entre la cabine et le cockpit de l'avion, ne donnent jamais l'impression de difficulté. La collaboration entre les deux auteurs fonctionne parfaitement. On imagine le rôle clé que Mangin aura joué pour transformer en pur récit de BD un scénario écrit par un passionné de BD, critique de son état, mais qui écrit ici son tout premier récit. L'ensemble fonctionne très bien, grâce à la subtile alternance des regards portés par les différents protagonistes sur la situation qui évolue dramatiquement, de manière parfois un peu exagérée... Mais après tout, n'oublions pas que tout part d'un souvenir d'enfance. A priori, il ne devrait pas y avoir de suite à ce one-shot très rythmé, mais il faut avouer qu'on aimerait en savoir plus sur ce que pourraient devenir toutes ces familles fraîchement débarquées dans un pays qui ne leur ressemble pas.