L'histoire :
Au XVIIIe siècle, Blanche de Saint-Ange, une jeune femme de noble condition, a un curieux handicap : elle ne voit pas les couleurs. Par ses yeux, le monde entier est en « niveaux de gris ». A 19 ans, sa famille la sort du couvent pour la marier au vieil et hideux Antoine du Beau-Près, qu’elle découvre le jour de ses noces. Sitôt la cérémonie achevée, elle est conduite en sa nouvelle propriété, sur une île austère et isolée… et doit attendre quelques mois le retour de son époux, en déplacement pour « affaires », afin de célébrer sa nuit de noce. Elle est présentée à la dizaine de domestiques qui l’entourera désormais, ainsi qu’à son tuteur, le libidineux père André. Elle découvre aussi Toumaï, un jeune nègre solidement bâti… mais étant donné qu’elle ne peut correctement distinguer sa couleur de peau, elle le salue tel un domestique, au lieu de le mépriser comme l’esclave qu’il est. Les premiers jours, elle découvre sa nouvelle vie, d’une tristesse inouïe, faite d’apparence et d’ennui, coincée entre l’hypocrisie des gens de son milieu et la distance des domestiques. En outre, le père André n’a de cesse de la saouler avec les convenances et de contenir sa soif de culture. Par d’innombrables discussions stériles, il lui rappelle les bons vieux préceptes de l’Eglise catholique : la femme se doit d’être soumise à son époux et le nègre est une sorte de chainon manquant entre l’homme et le singe. Blanche partage pourtant avec Toumaï une vision commune du monde…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Thierry Chavant ne perd pas de temps : dès la première planche, on est confronté de manière très explicite au contexte abominable dans lequel évolue l’héroïne, un milieu de haute condition, à cette époque d’une austérité affligeante. La pauvre Blanche est en effet tirée de son couvent pour être mariée et immédiatement exilée de force (elle découvre son père, son frère et son mari le jour même… mais peu importe : on n’en voit même pas les visages !). Puis le lecteur sent tout aussi rapidement poindre l’idylle naissante entre cette héroïne éclairée et l’esclave noir Toumaï, un amour interdit qui constitue le sujet du triptyque annoncé. Chavant joue astucieusement avec l’époque, les conventions et la symbolique. Le handicap oculaire de Blanche, son prénom et son sexe participent pleinement de la démonstration. En effet, selon la « classification » établie à l’époque par l’Eglise, la femme et le nègre sont d’un rang inférieur à l’homme… Au-delà du fait qu’elle ne peut distinguer clairement la couleur de peau des noirs, à quel niveau précisément, sur cette échelle absurde, se trouve Blanche qui, à l’instar de certains animaux, ne distingue le monde qu’en noir et blanc ? Réaliste, le dessin n’est certes pas des plus peaufinés, mais il a le mérite d’être impeccablement cadré, rythmé et découpé, pour un épisode pilote qui révoltera plus d’un lecteur. Et pourtant, le simple fait qu’il y ait encore, aujourd’hui au XXIe siècle, besoin d’une Halde, prouve qu’en matière de tolérance et de race, les préjugés sont tenaces. A chaque époque son curseur…