L'histoire :
Il y a plusieurs années, à la barre du Narval, le capitaine O’Murphy voit surgir entre rafales salées et déferlantes, un arbre gigantesque qui semble le narguer… La surprise est des plus totales lorsqu’au lever du jour, il constate que le végétal en question est majestueusement planté dans la coque d’un vieux vaisseau. Il ne faut pas longtemps alors au vieux marin pour se lancer à son accostage en compagnie de deux matelots. A bord, les trois hommes pensent avoir perdu la raison lorsque l’énorme feuillu se met à leur parler et leur conte même une bien étrange histoire : celle d’Amédée, le potier qui, par malice du destin sous forme d’un arbre resplendissant, se retrouve ce matin-là à leur faire le récit de sa vie… Tout commence par une vilaine beuverie et un enrôlement forcé sur le pont d’un bateau de commerce. Comble de malchance, quelques semaines plus tard, Amédée croise la route d’un terrible pirate, le capitaine Stroke. Épargné par le massacre qui suit cette triste rencontre, le jeune mousse subit un sort bien plus pénible que la mort : il devient pendant des mois le souffre-douleur du boucanier et attend avec impatience que la grande faucheuse ne le délivre enfin. Mais ce n’est pas encore son heure et à la défaveur d’une nouvelle brimade, il se retrouve abandonné sur une île déserte, avec pour seule fortune un tonnelet d’eau. Ce que l’ancien petit potier ne sait cependant pas, c’est que sa vie, à ce moment même, prend un virage inattendu : en passant sous un arbre géant de l’île, quelque chose tombe dans ses cheveux, qui pousse jusqu’à devenir un arbre lui pompant peu à peu toute son énergie…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Rares sont les auteurs qui, de quelques mots, de quelques traits, réussissent à transmettre autant d’émotions sans que l’on sache vraiment ni comment, ni pourquoi… En se réappropriant la publication jeunesse éponyme commise avec son compère François Rocca, Fred Bernard invite cette fausse histoire de pirates à grandir et nous donne accès à son sens inné de la poésie. Mélange de tristesse, de violence et saupoudrée d’une pincée de fantastique ou d’un zest d’épopée, cette dernière nous balade sur des chemins que le format jeunesse ne lui avait pas permis d’emprunter. Ainsi, cette nouvelle mise en scène fait la place à une intense histoire d’amour et ne se prive pas de nous montrer crument les difficiles moments de la vie du petit potier. Mais l’histoire reste avant tout un véritable conte, ceux des « Il était une fois… ». A la barre, pour narrateur, un vieux marin (pour qui, peut être, « ça tangue pas mal en tête de mât » !) nous fait basculer d’émotions en surprises, au gré des rencontres hasardeuses qui façonnent le destin duel de notre Amédée : souffrance et gloire ; force et épuisement ; jubilation et tristesse infinie. Un récit qui, sous ses atours de fable, se fait finalement parfaite palette émotionnelle de la vraie vie… Fred Bernard marque à nouveau des points avec son trait vif et formidablement dévoué au mouvement. On pourrait croire ce style particulièrement adapté au noir et blanc, mais il s’adapte très bien à la judicieuse colorisation de Delphine Chédru. Enfin, on est toujours baba devant cette narration fluide qui marie avec bonheur texte et dessin : une preuve, s’il en est, que notre faiseur d’émotions a tout compris.