L'histoire :
En cette fin Novembre 1879, Paris subit une vague de froid sans précédent, et l'Auberge de la Pieuvre est bondée. Célestin est le serveur du lieu, il est là depuis qu'il a commencé à travailler, quand le quartier des Batignolles n'était pas encore dans l'enceinte de la capitale. La table de quatre qu'il appelle les patrons, c'est davantage que les maîtres du lieu. Ils sont La Pieuvre, ils règnent sur le quartier, avec des surnoms qui reflètent leurs compétences particulières et certains sens hyper-développés : L'Oeil, l'Oreille, la Bouche et le Nez sont craints de tous les clients. Célestin, quant à lui, a un don qu'ils ignorent : il est Discerneur, il voit les gens tels qu'ils sont réellement. Il peut sonder leurs âmes lorsqu'il fixe leurs regards. Depuis sa naissance, il voit des crocs acérés, des corpulences monstrueuses, ou au contraire l'éternelle beauté de Mam'selle Rose. Lorsqu'un jour, une vieille dame entre dans la grande salle et commence à égrener les noms de disparus, il se réfugie dans la cuisine avant qu'un déluge de violence se déclenche de la part des quatre patrons, qui comprennent qu'ils sont désignés par l'inconnue qui continue sa litanie de noms. Le mystère qui entoure ces morts commence à l'intéresser, tout comme le sort d'une bande de vagabonds appelés les Asticots, qui ont eu le malheur de voler des affaires à des membres de la Pieuvre. Il va tenter de prendre leur défense.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
La productivité de Gess est impressionnante. Ce conte fantastique impossible à résumer nous accroche sur plus de 200 pages avec une qualité de dessin régulière et un souffle constant. Deux ans après le Destin du Trouveur, on se retrouve dans l'univers des Contes dits de la Pieuvre pour un troisième récit autour d'un nouveau personnage et d'un nouveau don particulier. L'ambiance fantastique prédomine, avec de belles pages de transition qui citent des extraits de livres ou de témoignages d'époque, et accentuent l'ambiance XIXème siècle. Le jeu de couleurs de Gess est à la fois simple et très percutant, avec ces nuances monochromes presque rouges lorsque le regard de Célestin passe à sa vision personnelle des visages et des corps. Cette trouvaille très accrocheuse propulse le récit lorsqu'elle survient la première fois. Sur le plan narratif, il faut accepter de se laisser faire complètement et se préparer à des changements d'ambiance radicaux, mais toujours très bien amenés, et maitrisés dans tous les cas. Les moments de solitude de Célestin sur le pont dans le froid sont très beaux, même s'il ne tarde jamais à replonger dans la folie de l'auberge et la violence latente qui emplit l'atmosphère. Effectivement indépendant des deux tomes précédents, ce volume devrait donner l'envie à ses lecteurs de rattraper leur retard. Ou en tout cas de relire plus tranquillement cette aventure entre réalité sociale et cauchemar monstrueux, cohérente et folle à la fois.